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La danse du loup

La danse du loup

Titel: La danse du loup Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hugues De Queyssac
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déchaînée.
     
    Il décida alors de fuir devant le temps, tentant une manœuvre d’une magnifique audace. Il présenta la hanche du navire à la lame. Les eaux démontées déferlèrent sur le pont avec rage, brisant tout ce qu’elles rencontraient sur leur passage, nous submergeant de la tête aux pieds, nous trempant jusqu’à la moelle des os. L’eau ruisselait de partout, irritant nos yeux, salant nos lèvres, collant nos vêtements à la peau.
    « Je ne réponds plus du grand mât, cap’taine ! hurla le maître-charpentier à gueule bec.
    — Rentrez la toile ! Elle souffre !
    — – Hommes de gabia  ! À vos postes ! ! ! Rentrez la toile ! ! !
    — Clouez les écoutilles ! Nous avons pris assez d’eau ! Tout est-il arrimé ? » Peu de temps après, le mestre confirma :
    « Tout est arrimé, cap’taine ! Les écoutilles sont fixées ! ! ! »
    Profitant d’un court instant d’accalmie, le mestre-capitaine ordonna d’hâler bas la fortune, de ne garder que la petite misaine et de mettre la barre au vent :
    « Laissez porter !
    — La barre au vent ! ! !
    — Hors quarts et matelots de pont, en bas !
    — Matelots, en bas ! ! !
    — Les huniers au bas-ris !
    — Hardi les gars ! ! ! »
    La nef obéit très lentement, hélas trop lentement, à l’impulsion du gouvernail et à l’action de sa misaine.
    Frère Jean restait accroupi sous le tillac, à demi mort. Je crus l’entendre implorer tous les saints à son secours, promettre de se confesser et de ne plus boire que de l’eau s’il en réchappait. En ces instants terribles, nous mesurions notre impuissance.
     
    Au moment où la Santa Rosa présenta la hanche à la vague, elle fut enveloppée par une vague gigantesque qui la coucha sur le flanc et arracha du pont tout ce qui n’y était pas solidement arrimé.
    La proue s’enfonça dans l’eau au point que le panier de hune fut submergé. Dans un craquement sinistre, la fusée se détacha et la voile de hune fut arrachée de sa vergue. Elle fut projetée pardessus ma tête dans un sifflement strident, toujours reliée à la nef par ses haubans.
    « Cap’taine, le navire rentre dans le vent ! Je ne tiens plus la barre ! hurla le timonier avec angoisse.
    — Toi, matelot, aide l’homme de barre à tenir le cap !
    — À vos ordres, cap’taine ! ! ! »
    — Un homme à la mer ! hurla Foulques de Montfort.
    — Pouvons rien faire ! Que Dieu ait son âme ! ! ! » s’écria le mestre-capitaine en se signant, une main solidement grippée sur le bastingage.
    — Cap’taine, l’épave du mât fait ancre flottante ! Les hommes de barre ne peuvent plus tenir le navire. Nous allons couler ! hucha le mestre de manœuvre en crachant une giclée d’eau par le bec.
    — Mestre, saisissez les haches d’abordage ! Tranchez les haubans ! Tout ce qui nous relie à l’épave ! Presto   ! Presto   ! »
     
    La nef se trouvait engagée dans un terrible combat contre les éléments naturels. Elle gîtait au point de basculer cul par-dessus tête. Nous allions être aspirés d’un moment à l’autre par les remous et engloutis à tout jamais dans les abysses noirs et glauques des profondeurs.
    Sauf miracle. Le miracle n’aurait pas lieu si une autre lame, aussi monstrueuse que la précédente, se présentait avant que le mestre-capitaine ne soit parvenu à redresser sa nef. C’en serait fait de nous tous.
    « La barre à bâbord ! Doucement, la barre ! »
    Dans le silence qui s’ensuivit un court instant, je lançai un regard implorant à frère Jean :
    « Priez mon fils, priez ! Seul Dieu et la Vierge Marie peuvent nous délivrer. Dans un monde ou dans l’autre. Recommandons nos âmes à Dieu ! » me supplia-t-il.
     
    Seul Dieu tenait effectivement nos destinées entre ses mains. Nous l’invoquâmes tous les quatre en lui recommandant nos âmes. J’adressai, pour la troisième fois de ma vie, une supplique à la Vierge de Roc-Amadour, une ultime prière pour mes trois compains et pour tout l’équipage.
    Je jurai aussi de ne plus quitter le bon et ferme plancher des vaches. Si nous sortions vivants de cette aventure. Si l’occasion devait se présenter à nouveau d’embarquer sur un navire de haute mer. Quelles qu’en soient les conséquences.
    Par miracle, la nef revint sur sa quille, reprit son erre et s’enfuit devant la tempête qui rugissait à la poupe et la poussait comme un fétu de paille sur les flots

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