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La danse du loup

La danse du loup

Titel: La danse du loup Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hugues De Queyssac
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narquois à la lèvre.
    — Je doute aussi que ces biens se trouvent à Tyr. Les voies du Seigneur sont impénétrables, messire Foulques. Celles de notre Sainte-Mère l’Église aussi, vous savez…
    — Cela suffit à la parfin, frère Jean ! Votre air innocent et vos insinuations m’exaspèrent. Ne mettez donc point ma patience à bout. Allez plutôt grabeler les articles de la foi sur d’autres terres ! À tantôt ! »
     
    Le chevalier avait rugi de colère. Il nous salua avec roideur, nous tourna les talons et se dirigea d’un pas vif vers le château de proue. Moins pour surveiller la manœuvre d’accostage, qu’à la suite du mestre-capitaine, le mestre de manœuvre transmettait incontinent à coups de sifflet et à gueule bec dans le porte-voix, que pour calmer ses nerfs qu’il avait à vif. Avant de débarquer, je me tournai alors vers frère Jean pour quérir quelques commentaires sur les raisons des doutes qu’il avait perfidement laissé planer.
    Mais le dominicain avait disparu de la surface du pont. Je ne devais pas le revoir avant le retour de Foulques. Le chevalier de Montfort était convaincu de son droit. Il devait déchanter. Bientôt. Tantôt. Trop tard.
     
     

     
     
    Le jour déclinait. De gros nuages noirs envahissaient le ciel. Les rayons du soleil couchant les heurtaient par moments, tentaient sans succès de freiner leur déplacement, doraient leurs contours.
    Non loin de là, la cité de Tyr se parait d’ombres et de lumière au gré des nuages : tantôt ocre, tantôt grise. Elle s’assombrissait au passage d’un épais nuage, se rapprochait et brillait de tous ses feux. L’instant suivant, elle s’éloignait pour plonger dans l’obscurité avant de revenir à la lumière.
    Je sentais le souffle des chevaliers aller et venir, lutter, mourir, revenir, vaincre, succomber sous le nombre au rythme des batailles gagnées ou perdues, des cités assiégées, conquises, reconquises, puis abandonnées depuis un demi-siècle.
    J’entendais le hurlement de ces chevaliers qui chargeaient par échelons, des cris d’agonie, le râle des mourants de fervêtus, le déplacement grinçant et chaotique des beffrois qui montaient à l’assaut, le sifflement aigu des flèches sarrasines, le lourd feulement des pierrières.
    Je voyais le sang chrétien répandu, mélangé au sang des Sarrasins. Tantôt assaillants, tantôt assiégés, souvent capturés, rançonnés ou occis. Le sang des Croyants et le sang des Infidèles avait la même couleur, la même viscosité brunâtre.
    Je respirais l’odeur écœurante des corps en décomposition sur le champ de bataille. Avant qu’ils ne soient enterrés sommairement ou brûlés à la chaux. Ô Jérusalem !
     
    Le froid mordait sous un ciel de plomb lorsque les deux canots, de retour, furent hissés à bord, emboîtés dans la chaloupe et solidement arrimés sur le pont de la nef.
    Sans me jeter un regard, le chevalier Foulques de Montfort, un peu voûté, les traits tirés, le corps grelottant (nous approchions des fêtes de la Nativité), se dirigea vers sa cabine.
    À voir son air abattu, sa figure lasse et ses mains vides, je me gardai bien de l’interpeller. J’avais compris que la fortune n’avait pas été au rendez-vous, ce jour. Il rentrait bredouille. Échec et mat ! Plus d’un mois pour en arriver là ! Échouerai-je aussi dans ma propre conquête d’Isabeau de Guirande ? Dieu seul le savait.
    Le soir tombait à présent. Le chevalier m’avait rejoint dans la pièce du mestre-capitaine. Il avait quitté ses habits de riche marchand génois pour revêtir son pourpoint, son surcot et ses bottes de tous les jours.
    Il s’assit en face de moi. Nous étions seuls. Il leva sur moi des yeux de chien battu. Dieu, que son regard était triste. J’en eus grand’peine pour lui. Il ne dit mot. Il savait que j’avais compris.
    Je baissai les yeux pour écraser une larme amère. En un geste inattendu, il me prit la main qu’il serra dans la sienne un bref instant. Je relevai la tête. Il ôta sa main, ses yeux brillaient. J’éprouvai de la pitié pour ce fier chevalier qui, par ce simple geste, avait baissé la garde et s’avouait vaincu par le sort.
    « Je compatis, messire Foulques. Je compatis. Mais tout espoir est-il perdu ? »
    Après un instant de silence, il me confirma :
    « Oui. Je suis ruiné. Plus ruiné que forteresse humiliée.
    — Non ! » affirma une voix péremptoire. Une voix forte que nous

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