La danse du loup
Comme un coursier qui se cabre. Descendant du comte Philippe de Montfort, puissant seigneur de Tyr, le chevalier se sentait investi d’une mission dont il croyait tenir les tenants et les aboutissants.
Le chevalier devait bientôt déchanter. Et se retrouver plus mortifié qu’une truie saillie par un bélier. Il n’était point femelle et frère Jean n’était, jusqu’à présent, qu’un modeste frère dominicain qui ne manifestait aucune intention de s’emmistoyer avec lui.
Il n’était point sodomite. Pas plus que le chevalier de Montfort, à ma connaissance.
Pourtant, le moine devait la lui prêcher plus profond que le chevalier n’aurait jamais osé l’imaginer.
Au risque de le payer de sa vie.
Que richesse, sagesse et beauté te soient données.
Mais garde-toi de l’orgueil qui souille tout le reste.
Salle capitulaire du krak des Chevaliers hospitaliers, plaine de la Bouquaïa (traduction de l’inscription en latin)
Chapitre 9
Escale à Tyr, à quinze jours des calendes de janvier, en l’an de grâce MCCCXLVI {xii} .
« Le roi est mort, messire Foulques ! Al-shah-mat ! »
Je prenais enfin ma revanche. Pour la première fois. Pour la dernière aussi. Mais ça, je l’ignorais encore ce jour-là. Le chevalier de Montfort coucha le roi noir.
« Vous avez gagné cette bataille, messire Bertrand et vous en félicite. Vive les blancs !
— Je n’y ai point de mérite ! Vous étiez plus occupé à surveiller la vigie sur le panier de hune qu’à suivre l’évolution des pièces sur l’eschaquier… »
Il était vrai que le chevalier avait déplacé ses pièces sans réfléchir, l’esprit manifestement occupé ailleurs. Au point que j’avais été obligé d’attirer son attention sur une erreur grossière de déplacement du chevalier de la fierge, indigne d’un joueur de la qualité de mon adversaire.
Si Arnaud maîtrisait les arcanes de ce jeu complexe, je l’ignorais. Nous n’avions jamais disputé de partie ensemble. Curieusement, pour avoir joué à d’autres jeux avec lui, je ne savais s’il pratiquait l’art des échecs.
Pour l’instant, il ne pouvait commenter ce tournoi. Il croupissait toujours à fond de cale. Tout au mieux aurait-il pu jouer contre lui-même. En imaginant la position des pièces sur l’eschaquier. Au risque d’en devenir fol.
Thunes, Alexandrie, Acre. Un bon mois déjà s’était écoulé depuis que la Santa Rosa avait appareillé d’Aigues-Mortes. Trois bonnes semaines de navigation et trois escales de deux à trois jours chacune dont nous n’avions pu profiter : nous avions toujours été consignés à bord, pour notre sûreté.
Depuis la violente tempête que nous avions essuyée aux approches de Thunes, la mer était calme, le vent faible à modéré, le froid de plus en plus vif. Nous avions essuyé quelques grains tout au plus, lâchés par un ciel gris. Nous naviguions cap au nord vers le port de la ville de Tyr. Depuis Alexandrie, le mestre-capitaine ne traçait plus sa route à l’aide de son astrolabe. Et pour cause : nous longions la côte à vue.
Lorsque la mer était calme, nous disputions, messire Foulques et moi, moult parties d’échecs pour tuer le temps. Sous l’œil attentif de frère Jean qui s’instruisait de la science du chevalier de Montfort.
Autant de parties jouées, autant de parties que j’avais perdues. Je ne devais, ma vie durant, connaître de meilleur joueur que lui. À ce jeu, tout au moins. Foulques était passé maître en cet art. Lorsque je lui avais demandé d’où il tenait cette science, il avait répondu laconiquement :
« L’entraînement, messire Bertrand, l’entraînement assidu. Comme l’exercice que vous pratiquez de mieux en mieux au poteau de quintaine ! »
À l’instant précis où le chevalier de Montfort me félicitait d’avoir gagné cette partie, victoire trop facile pour en tirer quelque gloire, le mestre-capitaine repéra une tour à feu qu’il reconnaissait, sur la côte au loin, et annonça que nous étions à environ huit milles marins de Tyr, à moins de trois heures de notre destination.
Foulques prit congé incontinent. Il attendait ce moment depuis notre départ. Il se précipita dans sa cabine pour se raser et faire un brin de toilette.
Il est vrai que nous avions tous une barbe récente, moins belle que celle, poivre et sel, du mestre-capitaine et du mestre de manœuvre. Plus brune, pour Foulques de
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