La danse du loup
reconnûmes aussitôt nous parvint du haut de l’écoutille qui donnait accès au carré. Celle de frère Jean.
Nous vîmes d’abord des souliers à l’apostolique écraser les marches de l’échelle. Puis des chausses blanches, suivies d’une robe de même couleur. Puis les pans d’un mantel noir, qui dansaient d’un côté à l’autre, se balançant au rythme de la descente.
Le mantel à capuchon était rabattu sur les épaules à hauteur du col. À la ceinture, une boîte à messages en forme de chilindre, garnie de cuir noir. Les plis de la robe étaient amples, mais la bedaine de frère Jean avait dégonflé comme par enchantement, comme un ballon de baudruche qu’on pique et qu’on crève.
Frère Jean n’en finissait pas de descendre. Il paraissait soudain plus grand. Son visage était encore masqué par le chevêtre qui enchâssait l’écoutille. Il descendit lentement les dernières marches.
Le moine rubicond et bedonnant avait fait place à un homme de belle stature, aussi roide qu’un inquisiteur, à la tonsure parfaite. Ses yeux gris se posèrent sur nous. Foulques de Montfort l’accueillit sans aménité :
« Diable, que faites-vous là en cet accoutrement, frère Jean ? Auriez-vous jeûné pour dégonfler à ce point ?
— Je viens grabeler les articles de votre ignorance ! Ceux du bonheur aussi. Le bonheur des pauvres gens que notre Sainte-Mère l’Église protège, dans leur immense désarroi. À qui vous allez pouvoir venir en aide en leur portant assistance et secours.
« Quant à ma bedaine, sachez que nous avons coutume de porter certains habits sous notre bure. Lorsque nous n’en avons pas l’usage. Ne sauriez-vous pas que les pères et les frères dominicains vont par tous les temps, sur tous les chemins, prêcher la bonne parole ? Sans porter sur leur bâton de pèlerin, des impedimenta superflus ? Ma bedaine était gonflée de ces habits. De ces habits, tout simplement. »
Le chevalier avait retrouvé sa fierté et son air fendant. Il se leva et le morgua de haut :
« Porter assistance et secours à de pauvres gens ? De quel droit, en vertu de quelle ordonnance venez-vous me dicter ma conduite, à la parfin ?
— En vertu de l’ordonnance promulguée par Papa Nostro , messire Foulques.
— Je ne connais qu’un seul père pour me dicter ma conduite. Le mien. Et il repose en paix.
— Ah ? Seriez-vous renégat ? Voilà de bien graves paroles dont vous ne mesurez peut-être pas céans, la portée : elles sont passibles d’excommunication. Point de sacrement, point de sépulture, point de fréquentation des lieux du culte. L’excommunication, c’est la relégation ici-bas et la mort de la vie éternelle, là-haut ! Vous ne l’ignorez point, je pense, messire Foulques ?
— Abrégez votre sermon, frère Jean et venez-en aux faits !
— Un autre ton, chevalier, je vous prie. Vous parlez au père Jean, Louis-Jean d’Aigrefeuille, messager de Notre Saint-Père le pape Clément.
— Légat du pape ! ? dit le chevalier en ricanant. Vous ne portez ni le chapeau ni l’habit d’un légat pontifical. Vous seriez-vous exposé plus que de raison au soleil ?
— Habitus non facit monachum, sed professio regularis . L’habit ne fait point le moine, mais témoigne d’une pratique continue. Brisons là, chevalier. Je suis le père dominicain Louis-Jean d’Aigrefeuille, aumônier général de la Pignotte, Elemosina pauperum, l’Aumônerie des pauvres à la cour du Souverain pontife.
« Je dispose de tous les pouvoirs, signés par la Chancellerie pour mener cette affaire comme je l’entends. Vous en prendrez connaissance dans quelques instants, déclara-t-il en tapotant sa boîte à messages.
« J’ai aussi pouvoir d’inquisition. Or donc, mettez-vous à genoux incontinent, messire Foulques, que je vous donne ma bénédiction, au nom du Saint-Père, en signe de pardon et de rémission pour vos paroles insolentes.
« Si toutefois vous souhaitez recouvrer vos biens, messire, et ne point comparaître devant les auditeurs de la Rote. Dans le meilleur des cas. À moins que je ne décide de vous assigner à comparaître devant le tribunal de la sainte Inquisition où vous pourriez être jugé coupable d’hérésie. Avant d’être brûlé vif sur le bûcher ! »
Le père Louis-Jean ne plaisantait plus. Son regard était devenu gris clair, froid, dangereux. Le chevalier le comprit incontinent. Outre ses fonctions à la cour
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