La Dernière Bagnarde
des «
co m modités
», comme vous dites ! Sur le papier, mais sur le terrain, rien
de rien pour ces dames. Pas
même les cellules.
— À
quoi bon parler d'hier s'énerva Louis
Dimez que ce
charabia incommodait au plus haut
point. Je vous
parle d'aujourd 'hui.
Il y a u r gence. Les femmes
sont là, elles ont
passé des semaines en
mer à fond
de cale,
elles n'ont rien
dans le ventre et elles attendent
de manger et de
s a voir
où elles vont
dormir. Le temps
presse. Je répète ma question , que fait -on
? Le dire c teur de
Saint-Laurent- du-Maroni ne s 'émut
en aucune
façon de 1a demande de louis
Dimez. La France
était loin et le monde
de ceux qui
auraient pu le
sanctio n ner
aussi. Depuis le
temps qu'il faisait ce qu 'il voulait. Même le gouverneur de Guyane
n 'avait
pas son
nez à mettre
dans ses affaires. Il était
le seul élu de l'unique co m mune pénitentiaire du monde
puisque Saint-Laurent était né pour
cette fonction sur des terres vierges de toute construction. Il y
avait bien quelques autochtones, des Noirs..., mais on ne leur
avait pas demandé leur avis pour l'installer et déverser
chez eux les exclus dont la France ne voulait plus. Désormais,
donc, le directeur était le maire tout- puissant
de l'endroit, désigné par des autorités
pénitentiaires qui se trouvaient à Paris
et se fichaient pas mal de ce qui se
passait à des
mi l liers
de kilomètres. La preuve, ils avaient envoyé ces femmes
sans se soucier du moindre
détail de leur a r rivée,
comme on envoie le linge sale dont on
veut se débarrasser.
Il se leva donc tranquillement de de r rière
son bureau et s'approcha de Louis
Dimez qu'il prit familièrement par l'épaule pour lui
livrer une dernière confidence.
— Vous
me demandez où on
loge ces femmes ?
— Bien
sûr, insista Dimez, le temps presse je vous ai dit. Où
les met-on ?
— Vous
savez ce qu'a répondu mon prédécesseur,
Montr a vel,
quand on lui demandait où loger les femmes et où en
étaient les travaux ? « L'état encore provisoire
de ce pénitencier n'a pas permis que les dét e nues
fussent logées aussi co n venablement
qu'elles le seront bientôt. » Formule prononcée en 1859. Et
moi, trente ans plus tard, je ne peux que vous r é péter
la même chose. Bientôt, elles seront peut-être
logées, mais pour l'heure le seul endroit construit est ce
même premier pén i tencier
dont parle Montravel. Un vieux bâtiment, petit, toujours
prov i soire,
qui loge les deux sœurs. Pour les vôtres, je n'ai rien.
Louis
retint sa fureur. Il avait mieux à faire
que s'énerver et n'avait pas pour habitude de laisser tra î ner
les choses. Il tourna les talons. Son grade lui permettait de prendre
des décisions, il en prendrait. La pr e mière
était qu'il fallait débarquer les hommes puis faire
remonter les femmes sur le navire jusqu'au lendemain avec les sœurs
qui les a c compagnaient.
Le co m mandant
attendrait un jour de plus pour repartir, ça occasio n nerait
des frais supplémentaires pour la pénitentiaire mais il
en prenait la responsabilité. Pas question de laisser les
sœurs et les détenues dormir à même le sol
dans la rue. D'ici au lendemain, il a u rait
trouvé une solution, il le fallait.
12
Pendant
que se tenait cette conversation entre Louis Dimez et le d i recteur,
la pluie s'était mise à tomber et sur le quai la
pagaille était à son comble. Les gardiens ne savaient
plus comment contenir les femmes, et les rangs bien ordonnés
de sœur Agnès s'étaient transfo r més
en un groupe trempé, anarchique et braillant. Louise avait
retro u vé
toute sa verve.
— -
On ne nous attendait pas, les filles ! C'est la meilleure, celle-là
! Et maintenant voilà que la pluie s'amène. Nous, on
croyait qu'ici il fa i sait
toujours beau ! On
s'est gourées, mais ce n'est pas grave, on re m barque
et on repart. Pas vrai, co m mandant
? Vous nous ramenez ? Pas vrai ?
— Faites-la
taire ou je lui en colle une ! hurla le commandant à sœur
Agnès,
Surpris
par la pluie, il gesticulait, très en colère. On
perdait du temps, et il fallait faire débarquer les hommes
rapidement, sans quoi il ne pourrait plus repartir. Il s'en prit à la
mère sup é rieure.
— ...
Putain de pays ! Il pleut tout le temps! Je commence à en
avoir assez de ce bazar qui va dégénérer. On
n'est plus au co u vent
là, on est au bagne, bon sang ! Réveillez-vous ! Il n'y
a que des fous ici, et s'il leur pr e nait
l'envie de nous foutre à l'eau ils y arriveraient sans
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