La Dernière Bagnarde
tel à son avis qu'une bonne file bien alignée.
L'ordre, le calme rassureraient les autochtones et les autorités
locales qui les a t tendaient
et qu'elle reconnaissait sur le quai d'appontement à la
bla n cheur
immaculée de leurs uniformes et de leurs casques coloniaux.
Convaincue de la bonté des hommes, sœur Agnès
appliquait à la lettre les
v a leurs
que ses parents lui avaient enseignées : travail, discipline
et bonté. Encadrée par les gardiens de la
pénitentiaire, elle débarqua à la tête de
sa petite troupe, souriante, le regard co n fiant.
10
Sœur
Agnès avait à peine
posé le pied sur le sol de Guyane qu'elle fut interpellée
de loin par une sœur qui arrivait vers elle en gesticulant, et
qui s'arrêta à quelques
pas devant la petite troupe des prisonnières, tout essoufflée.
— Mon
Dieu, mon Dieu !!! fit-elle en reprenant sa respir a tion.
— Que
se passe-t-il, ma sœur, demanda sœur Agnès en lui
tendant la main a micalement, qu'y
a-t-il donc pour vous mettre dans cet état ?
— Mais
qui êtes vous ? fit l'autre avec de gros yeux ronds. D'où
v e nez-vous
?
Sœur
Agnès s'était attendue à tout
sauf à cette
question. Surtout v e nant
d'une sœur de la même congrég a tion
qu'elle et qui était censée les attendre et les
a c cueillir.
La douche fut glacée.
— Mais...,
fit-elle, stupéfaite et incrédule, je suis sœur
Agnès.
— Sœur
Agnès ? Mais qui vous envoie ? Et
ces femmes,
qui sont-elles ? Que viennent-elles faire ici ? La foudre s'abattait sur
sœur Agnès. Elle
ne parvenait
pas à répondre
et restait bouche o u verte,
bras ballants.
— Que se
passe -t-il
? Pourquoi n'avancez-vous pas, le commandant s'inquiète.
La
mère supérieure se présenta à la
sœur essoufflée d'un ton autor i taire.
— Je
suis votre nouvelle mère supérieure,
je suis envoyée pour d i riger
le pénitencier de Saint-Laurent
Mais
elle n'eut pas le temps d'en dire davantage. L'officier de la
p é nitentiaire
rectifia imm é diatement
les choses.
— Ah
non ! Attention ! Pas diriger !
La
mère supérieure se retourna vivement.
— Comment
cela ?
— ...
Non, non, insista l'officier.
Vous n'êtes pas là pour diriger le pénitencier
des femmes. Le gouverneur l'a bien spéc i fié,
vous n'êtes que l'auxiliaire du chef du dépôt de
notre a d ministration
pénitentiaire. Lui seul a les pleins po u voirs.
Auxiliaire
! C'en était trop. Ce jeune blanc-bec à peine
sorti de l'école venait lui donner des leçons et lui
expliquer quel était son rôle ! Elle vit rouge et
l'envoya promener.
— Qu'est-ce
que c'est que cette invention encore ! Et d'où sort-il ceci,
votre gouverneur ?
— Mais
ça s'est toujours passé ainsi et je...
— Allez,
allez, ici c'est moi qui commande, mon jeune ami, occ u pez-vous
de vos affaires et laissez-moi gérer les miennes. Filez à
vos bureaux et laissez-nous. Nous avons suffisamment à faire
et devons installer les pr i sonnières.
— Les
installer ? Mais où, ma mère,
où ? intervint alors la sœur qui était accourue et qui, dans cet
imbroglio, commençait elle aussi à e n trevoir
le pire.
— Comment
ça, où ? Au pénitencier, nature l lement.
— Mais
quel pénitencier ?
— Celui
des femmes, parbleu !
— Mais...
il n 'y en
a pas. La mère supérieure vacilla.
— Comment
? Pas de pénitencier ?
— Non,
ma mère. Nous ne savions même pas que vous deviez
arr i ver.
Et encore moins avec des détenues. Rien n'est prévu.
Nous sommes deux dans un vieux carbet minuscule et insalubre. Il ne
co n tiendrait
pas une personne de plus.
Cette
fois la mère supérieure sentit le sol se dérober
sous ses pieds. Elle n'arrivait pas à croire ce qu'elle venait
d'e n tendre.
— Que
dites-vous ? ânonna-t-elle enfin au bout de quelques s e condes.
Rien n'est prévu ?
— Non,
ma mère, non. Rien. Je vous le dis, nous ne savions même
pas que vous veniez, on ne nous a rien dit.
Cette
fois, la foudre ne s'abattait plus seulement sur sœur Agnès.
La mère supérieure était blême. Personne
n'était au courant de leur venue alors qu'en France tout avait
été mis en œuvre pour les expédier au plus
vite ? Comment cela était-il possible ?
— Bon,
alors, ça avance ? Il faut faire débarquer les hommes
avant de repartir. Qu'atte n dons-nous
?
Sur
le pont, le commandant s'impatientait et se demandait ce que ces
femmes fabriquaient à piétiner des heures au lieu
d'avancer. Mis au courant de la situation, il déchanta. Hélas
pour lui et sa
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