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La Dernière Bagnarde

La Dernière Bagnarde

Titel: La Dernière Bagnarde Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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l'a i guille
dans le tissu et qu'à la quatrième, la cloche
sonnerait. Et si la cloche sonnait au quatrième passage de
l'aiguille, ce serait le signe d'une bonne nouvelle. Elle n'allait
pas jusqu'à donner une forme pr é cise
à cette « bonne nouvelle », mais son esprit ainsi
nourrissait des espoirs. Elle passa l'aiguille une fois, puis deux,
puis trois et, à la qu a trième,
elle hésita, et ralentit son geste. La cloche n'avait to u jours
pas retenti. Une angoisse l'étreignit et accapara toute son
attention. L'a i guille
ressortit de la toile et elle la tira le plus lentement possible,
pe n sant
avoir perdu son pari, quand la cloche sonna. Son angoisse disp a rut
instantanément et elle respira largement, procurant à
son corps un bref instant de bien-être. Maintenant, elle allait
pouvoir se lever et faire la prière avec les autres, debout.
Elle posa son ouvrage à terre, sur le côté de son
siège, et se déplia doucement Tout son corps la fa i sait
souffrir. Les muscles des jambes, d'abord, qui étaient tout
raides, puis les os, et le dos qui se coinçait et qu'elle
déroulait le plus lent e ment
possible. Enfin les vertèbres de son cou, brisé à
force de tenir la tête dans la même position sans bouger.
Marie profitait du moment de la prière pour laisser sa tête
aller vers l'avant, le menton contre sa po i trine,
et elle massait consciencieusement les cervicales une à une.
Le mal semblait s'apaiser alors au contact de sa main. Elle tentait
de r e mettre
un peu de circulation dans ce corps douloureux. Elle frottait aussi
ses membres les uns après les autres, prenant garde qu'on ne
la voie pas, car, pour les sœurs par ailleurs compatissantes,
l'heure de la prière était sacrée. On ne devait
rien sacrifier du temps donné à Dieu.
    — Marie
! Cessez de gesticuler dans tous les sens et pensez à notre
Père qui vous observe de là-haut. Priez qu'il vous aide
et vous apporte Son
soutien. Pensez à sauver votre âme. Concentrez-vous, Il
vous d e mande
si peu de temps, accordez-le-Lui !
    Prise
en flagrant délit, Marie se redressa difficilement et se mit à
r é citer
la prière avec les autres. Du moins avec celles qui en avaient
e n core
la force. Les mots venaient de plus en plus difficilement. Elle en
avait oublié certains ou elle les intervertissait. Privée
de nourriture, sa mémoire la lâchait. Marie so m brait
de toutes parts.

19
    Sœur
Agnès s'était démenée auprès des
autorités pour réclamer de l'aide, de la nourriture et
des médicaments. Beaucoup d'énergie et de larmes...
pour rien. On ne la recevait jamais au même endroit, elle ne
trouvait jamais le même surveillant, gardien, ou autre pe r sonne
dont elle ne connaissait même pas la fonction à qui elle
aurait pu s'adresser. On la baladait comme on baladait la mère
supérieure, et ce qu'elle r e doutait
venait d'arriver. Deux détenues avaient contracté une
fièvre l'avant-veille, et maintenant dix autres étaient
contaminées. La cont a gion
gagnait à une vitesse fulgurante. Dès qu'elle s'en
était aperçue, consciente du danger, sœur Agnès
avait couru au bureau des médecins à l'hôpital.
Cinq fois. En vain. Avec le médecin-chef, ils n'étaient
plus que quatre pour tout le territoire de la pénitentiaire et
pour les hôp i taux
de Cayenne, de l'île Royale et de Saint-Laurent. Autr e ment
dit, en attraper un au passage relevait du miracle. Mais il n'y a
jamais pe r sonne
dans ces bureaux ! rageait-elle.
    — Qu'est-ce
que vous croyez, lui avait lancé un bagnard
hargneux qui traînait dans le coin, qu'ils ont que ça à
faire ? Vous attendre ? Ils co u rent,
ils courent !
    Elle
lui avait jeté un mauvais regard et lui avait conseillé
de s'occ u per
de ses affaires. Le bagne et son atmosphère délétère
finissaient par déteindre sur elle. Que faire pourtant, à
part attendre encore les méd e cins
? Opérations, urgences, plaies terribles suite aux bagarres à
mort qui sévissaient en permanence, dans ce milieu dépourvu
de toute h y giène,
les maladies co m munes
et endémiques les atteignaient tous sans distinction, et les
trois pauvres médecins servaient à tout et à
tout le monde. Bagnards, administratifs, f a milles
en poste. Ne sachant plus que faire, sœur Agnès s'était
adressée à un autre bagnard, ancien i n firmier
qui aidait les médecins du
bagne. Il tenait un poste de secours près
de la forêt, et avait conseillé à sœur
Agnès de laisser un message sur le bureau du docteur
Vill e

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