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La Dernière Bagnarde

La Dernière Bagnarde

Titel: La Dernière Bagnarde Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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ailleurs. On nous pr o met
mieux mais on nous retient ici depuis bientôt deux ans. Même
nous, la mère supérieure et moi, vivons là et
nous avons tout essayé pour en sortir. Nous sommes à
bout.
    — Je
sais. Hélas, nous, les médecins, nous ne pouvons que
donner notre avis. C'est l'administration seule qui décide, et
e n core...
on finit par ne plus savoir.
    — Parlez-en
au directeur, expliquez-lui la gravité de la situation
pour toute la communauté de Saint-Laurent si la maladie se
propage. Ils s e ront
obligés de réagir. Faites-le,
je vous en supplie !
    Le
médecin venait de passer trois journées et deux nuits
sans do r mir
et à peine manger. La découverte de la gravité
de la situation et la supplication de sœur Agnès
achevèrent ses dernières forces. Il s'effo n dra
sur le lit de Marie et prit sa tête entre ses mains.
    — Seigneur
! s'exclama sœur Agnès, effrayée, qu'avez-vous ?
Qu'avez-vous ?
    Il
releva la tête lentement. On pouvait lire sur ses traits
l'immense lassitude. Il aurait pu dire à sœur Agnès
des mots de réconfort, comme « Je vais voir ce que je
peux faire », ou lui donner des cachets qui ne servaient à
rien, juste pour calmer son esprit, mais il n'avait plus envie de
mentir. Fût-ce pour donner de l'espoir et du courage. Il
voulait juste faire son métier : soigner et guérir. Or
depuis qu'il était en poste au bagne, il soignait rarement et
il ne guérissait jamais. Ou si peu que c'en était
dérisoire. Ils ne s'en sortaient déjà pas avec
les hommes, et maintenant
qu'on leur e n voyait
des femmes dans des conditions aussi dures, ça devenait
intenable moral e ment.
    — Tenez,
docteur, buvez cette eau, elle est sucrée. Et mangez ce pain,
vous êtes épuisé.
    Sœur
Agnès avait été lui chercher de quoi se remettre
et donnait ce qu'elle pouvait. Il but le verre d'eau, dévora
le pain, et se reprit. Il fa l lait
venir en aide à cette sœur, l'apaiser sinon elle aussi
allait y passer. Elle était bien maigre et bien pâle,
elle ne devait pas peser plus de quarante-cinq kilos et, pour sa
taille, c'était presque un miracle qu'elle tienne encore
debout. Elle était là pourtant, elle se battait pour
ses d é tenues
et même pour lui. Il trouva l'énergie de sourire.
    — Merci,
ma sœur, pour vos malades on va faire au mieux. Il faut les
séparer, sécher et aérer tous les lits. Les
détenues encore valides doivent être mises à
l'écart. Je vais en parler au médecin-chef qui ira voir
le d i recteur.
On va trouver une solution, je ferai tout pour ça. Je vous le
promets.
    Elle
le remercia avec chaleur. Il lui rendit le verre vide, se leva, prit
sa serviette et repartit d'un pas lourd, les épaules basses.
Il mesurait l'immensité de la tâche et il savait que
rien ne changerait. Ces femmes resteraient enfermées dans
l'humidité du carbet et elles seraient déc i mées.
Tant que la maladie ne sortait pas de leur périmètre,
l'admini s tration
s'en moquerait complètement D'ailleurs, le directeur disait
vrai, il n'avait aucun bâtiment à disposition et,
surtout, il n'avait aucune e n vie
de se battre pour en avoir. Il attendait sa mutation. Tout le monde
désertait Saint-Laurent, à part les bagnards, les sœurs
et le docteur Vi l leneuve
qui tenait le coup et motivait ses troupes. Deux ans de service au
bagne, c'était la moyenne. La première a n née
on pensait changer les choses, et la deuxième on préparait
le départ.
    Il
fit pourtant ce qu'il avait promis à sœur Agnès,
soigna, se dém e na,
mais ce qu'il redoutait arriva. Rien ne bougea et l'hécatombe
fut colossale. Sur les quarante détenues, il n'en resta que
quinze. Et elles ne f u rent
pas les seules victimes. Comme il l'avait prévu, la maladie
emporta aussi sœur Agnès. Elle s'était si bien
occupée des malades, elle avait pris si peu de précautions,
elle était si fatiguée qu'elle su c comba
aussi. Ce Dieu qu'elle avait tant prié au couvent et qu'elle
se r vait à tr a vers
les plus démunies avec tant de courage et de générosité
ne l'épar g na
pas.

20
    — Sœur
Agnès est morte, Monsieur le Directeur. Jamais personne
n'avait osé entrer ainsi dans son bureau sans frapper.
Stupéfié autant par la nouvelle à laquelle
il ne s'attendait pas, que par cette intrusion, le directeur
regardait la mère sup é rieure
se tenir race à lui,
menaçante sous sa cornette blanche.
    — Notre
Seigneur l'a rappelée à Lui.
Désormais, poursuivit-elle sur le même ton et sans
attendre, c'est moi

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