La Dernière Bagnarde
neuve.
— Un
message ! Vous voulez rire ? S'ils ne sont jamais là ils ne le
verront jamais et ce mot ne restera pas sur leur table plus d'une
heure. N'importe qui entre et sort dans ces bureaux. Ils sont vides
tout le temps, de vrais courants d'air.
— Faites
ce que je vous dis, avait-il insisté. Je vous promets qu'ils
l'auront
Ce
quelle avait fini par faire sans y croire. Et, à sa grande
surprise, le soir
même un
médecin arriva au carbet, la mine et les traits tirés.
Il avait dû vivre de mauvaises heures.
— Pardon,
ma sœur, l'infirmier m'a attrapé au vol. Je vous ai fait
a t tendre,
mais, croyez-moi, c'était bien i n volontaire...
— Ce
n'est rien, fit-elle, conciliante. Vous êtes là, c'est
le principal.
— Alors,
que se passe-t-il chez vous ?
Elle
lui expliqua la situation et il parut effrayé.
— Douze
malades ! Elles délirent et ont de fortes fièvres !
Pourvu que ce ne soit pas une épidémie !
Il
y a deux jours, ce médecin avait été appelé
d'urgence dans un camp forestier. Des arbres étaient tombés
du mauvais côté. Trois b a gnards
avaient été écrasés et, pour ceux qui
étaient vivants, il avait dû improv i ser
et amputer sur place deux jambes et un bras. Après quoi il
était rentré à pied, parce que le chariot poussé
par les bagnards et qui servait de lia i son
ne l'avait pas attendu. À peine arrivé à
l'hôpital, il était tombé sur le message de sœur
Agnès que le bagnard infirmier lui avait mis sous le nez, et
il était reparti sans attendre. Sans même prendre le
temps ni de se changer ni de manger. Une épidémie,
c'était ce qui pouvait arriver de plus grave à la
communauté tout entière. B a gnardes,
bagnards, administratifs, agents, tout le monde était
conce r né.
Avec les chaleurs et l'insal u brité
qui régnait partout, les maladies se propageaient à une
vitesse i m pressionnante.
Il fallait enrayer celle-ci immédiatement. D'une bagnarde à
l'autre, il con s tata
la fièvre, les nausées, les sueurs, l'état de
choc . de prostration et, au fur et à m e sure,
il changea de figure.
— Je
suppose que c'est vous qui videz les urines, ma sœur ?
— Oui.
— Ayez-vous
remarqué un changement ?
— Oui.
Je les trouve de plus en plus sombres.
Il
cessa d'ausculter, lança un juron, et quand sœur
Agnès
lui demanda son
verdict, il n'y alla pas par quatre chemins.
— Attendez-vous
à une hécatombe, ma sœur. Elles ont une fièvre
bilieuse, aucune ne s'en so r tira.
— Mon
Dieu! s'écria sœur Agnès, bouleversée.
Mais qu'est-ce que c'est ?
— Une
complication rarissime du paludisme. Vos femmes sont trop faibles.
Elles attrapent tout et ça dégénère très
vite. Les globules rouges éclatent et on n'a aucun moyen de
traiter. Leur avez-vous do n né
de la quinine ?
— Oui,
pourquoi ?
— On
n'en est pas encore certain, mais on pense que la quinine n'est pas
bonne pour ça.
— Mais
on nous en distribué en nous recommandant d'en prendre le plus
régulièrement possible.
— Je
sais. Mais ce qui est bon pour le paludisme n'est pas bon pour la
fièvre bilieuse. Du moins c'est ce que l'on co m mence
à comprendre.
— Mon
Dieu, quelle horreur ! Mais que peut-on faire ?
— Rien.
— Mais
c'est de la folie !
— Il
faudrait que je leur fasse à chacune une transfusion. Avec
quel sang ? Celui des bagnards ? Ils n'en ont presque plus et le peu
qu'il leur reste est encore plus anémié et infesté.
De toute façon je n'ai pas les moyens de faire des
transfusions en pareille quantité. C'est impo s sible.
Dans l'urgence, pour limiter les dégâts et protéger
celles qui re s tent,
il faudrait les prendre une à une, les sortir de ce hangar
pourri et les mettre dans un endroit sain et dans de bons lits
propres et secs. Vous avez ça sous la main, vous ?
Sœur
Agnès ne put rien répondre. Des lits ailleurs qu'au
carbet, ce n'était même pas la peine d'y penser. Quant à
des lits secs, ça n'existait pas. L'humidité pénétrait
partout, et les germes pullulaient
— Docteur,
si j'ai bien compris, ces détenues vont mourir, et les autres
risquent le pire parce qu'on ne peut pas les faire so r tir
d'ici ?
— Oui.
Je ne dis pas qu'elles guériraient dans d'autres conditions,
mais on limiterait la prop a gation.
— Alors,
par pitié, aidez-nous. Prenez-les dans vos hôp i taux.
Il y a de la place dans celui de Saint-Laurent et on pou r rait
en envoyer par bateau à Cayenne. Nous sommes enfe r mées
ici et nous n'avons aucun espace
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