La Dernière Bagnarde
demi par jour
Robe
: 1 en un jour et demi
Vareuse
de toile : 1 et demie par jour
Elle
réprimandait fermement, mais en do u ceur.
— Le
directeur de Saint-Laurent s'est plaint qu'on ne pa r vienne
pas à livrer
plus d'une chemise par jour et par détenue. Il dit que le
rend e ment
n'est pas suffisant. Essayez de faire mieux, votre paye sera
mei l leure-La
paye ! Au début elles ne devaient rien recevoir, et puis, pour
les encourager à produire,
l'administration décida qu'elle allait les r é munérer
trente centimes par jour. Hélas, tant que le quota n'était
pas atteint, elles ne recevaient rien et, quand elles y arrivaient,
on leur r e tenait
dix ce n times
sur les trente, pour constituer un pécule en vue de leur
éventuel mariage. Et si elles voulaient un café le
matin, elles d e vaient
aussi le payer dix centimes. Car tout se monnayait au bagne, et au
carbet des femmes aussi. Autrement dit, elles avaient souvent le
ventre vide. L'e x hortation
de sœur Agnès sortit Marie de ses pensées qui
suivaient le cours d'un lab y rinthe
interminable où elle-même se perdait, et elle reprit son
travail. L'aiguille perçait difficilement la toile dure
et il fallait
a p puyer
avec le pouce pour bien l'enfoncer. Ici on ne connaissait pas le dé
à coudre. Sœur Agnès en avait emporté de
France mais pas assez. Depuis des semaines qu'elle cousait des vestes
et des pantalons de bagnards, le pouce droit de Marie était
passé par toutes les étapes. Blessé par le chas
des a i guilles,
il avait longtemps saigné, puis, à force, il s'était
endurci. Maintenant il était aussi dur que la corne des talons
de ses pieds qui avaient d'ailleurs terriblement enflé. Une
vraie car a pace.
Mais ce sont les forces du corps qui manquaient le plus. Marie
regarda ses bras et ses jambes. Elle avait terriblement maigri et
voyait ses os poindre aux coudes et aux genoux. Elle tâta ses
joues. Là non plus il ne restait pas grand-chose. Depuis
qu'elle s'en était aperçue, Marie se tâtait tous
les jours, et tous les jours il lui se m blait
qu'il lui restait moins de chair que le jour précédent
Elle ne po u vait
pas se voir, il n'y avait aucun miroir, mais elle voyait le visage
des autres. Leurs cheveux étaient ternes et pauvres. Elle
remarquait que les siens aussi tombaient. Mais elle ne s'en alarmait
pas. Bien des choses n'avaient plus d'importance. Marie so n geait
plutôt au repas, et elle compta les heures qu'il lui faudrait
attendre. Elles n'auraient qu'une soupe liquide et une tranche de
pain, avec au mieux un mo r ceau
de viande dure. Marie n'avait rien dans le ventre d e puis
le brouet de la veille, et son estomac se tordait, faisant entendre
des bruits de colère. Comme tous les jours et toutes les
nuits, il réclamait. Au début ça avait été
très dur, mais maintenant Marie vivait en perm a nence
avec ce manque. Les jours passant, elle avait moins envie de ma n ger.
Il lui semblait même que si on lui donnait un bon plat, elle ne
pou r rait
rien avaler.
Elle
regarda la bande de ciel au-dessus de la palissade. Vu la l u mière
elle se dit qu'il devait être près de neuf heures du
matin. L'heure à laquelle elles devaient toutes réciter
le chapelet. Pour le repas, il faudrait attendre. La cloche sonnerait
pour la prière d'une seconde à l'autre.
M a rie
connaissait déjà tout des minutes et même des
secondes qui s'égr e naient
dans le carbet où elles cousaient, assises sur de petites
caisses sans dossiers. On leur avait donné cette petite caisse
en leur spécifiant qu'elle leur était seulement prêtée,
et qu'elle serait leur seul meuble. La caisse avait un couvercle qui
se refermait et devait cont e nir
tous leurs e f fets.
Elle était à la fois leur armoire, leur buffet et leur siège.
Les détenues en étaient responsables. Marie était
assise sur la sienne. Les premiers jours, le mal de dos avait été
terrible. Il fallait coudre toute la journée. Impo s sible
de s'appuyer quelque part. Marie se tournait dans tous les sens. Elle
se pe n chait
d'un côté pour atténuer le mal de la position,
puis au bout de quelques minutes se penchait de l'autre côté.
Jamais elle ne trouvait une position qui la soulage. Le mal était
d'autant plus horrible que ses os devenus saillants étaient
dire c tement
en contact avec le siège qui la blessait. Alors, pour ne plus
penser à la do u leur
et ainsi tenter de la diminuer, Marie s'était inventé
des repères. Elle décida par exemple qu'elle allait
passer trois fois
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