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La Dernière Bagnarde

La Dernière Bagnarde

Titel: La Dernière Bagnarde Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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contenu de ces privilèges un à un,
bouche bée. Dans son impeccable costume blanc au double rang
de boutons dorés, bottines lacées, casque col o nial
enfoncé sur le crâne, il se dandinait d'un pied sur
l'autre, soucieux de co n vaincre
et de bien s'exprimer. On lui avait rappelé l'importance de la
mission décidée par le gouvernement. Marier ces femmes
et faire en sorte que la Guyane se repeuple. En réalité,
il ne croyait pas vra i ment
à cette mission mais il agissait en tout point comme s'il y croyait,
et ainsi il se sentait en règle. Mais qu'aurait-il pu faire ?
Dire à ces femmes qu'aucun de ces mariages n'avait jamais rien
donné et que les concessions étaient des lopins de
terres perdues dans la jungle et i m possibles à travailler
? Qu'une fois mariées on les enverrait là-bas, chacune
seule avec son bagnard, et qu'il faudrait tout bâtir de ses
propres mains? Que ces terres étaient choisies au hasard
puisque pe r sonne ne savait
rien de cette jungle, mis à part
qu'elle était infestée des pires prédateurs
microscopiques qui soient sur cette terre ? Le no u veau
représentant de la pénite n tiaire
n'était pas pire qu'un autre, mais pas meilleur. Il se do n nait
deux ans de présence à Saint-Laurent
pour être dans la moyenne et comptait fuir autant que possible
les pr o blèmes.
Il fallait tenir jusqu 'à la
fin sans ennuis et, si possible, en mo n trant
qu'il était efficace.
    — Et
ce cadeau, poursuivit-il avec le ton convaincu d'un bateleur vendant
sur un marché un produit dangereux à des
ménagères sce p tiques,
ce n'est pas n'importe quoi. C'est une co n cession.
Nous vous cédons gracieusement une pa r celle
de terre sur laquelle vous pourrez bâtir votre maison, et
fonder votre f a mille.
N'est-ce pas votre rêve le plus cher ? Maintenant ce rêve
est à votre
portée. Après les heures di f ficiles
que vous avez vécues, une vie heureuse vous attend. Vous la
méritez.
    Le
représentant de la pénitentiaire s'était pris au
jeu de son propre discount et, en prononçant ces derniers
mots, des larmes affleuraient à ses yeux. Oui, la France
reco n naissait
la dureté de la peine, mais elle offrait à ces femmes
une no u velle
vie. Marie l'observait, tour à tour
menaçant ou gentil. Mesurant l'émotion dans sa voix
devenue chevr o tante,
elle ne savait plus quoi pe n ser.
    Attendre
d'être choisie ? Elle n'avait jamais été choisie
par qu i conque.
Elle resterait sur le banc comme lors
des fêtes de campagne où les
fils des fermiers allaient vers les filles qui avaient du bien et
d é laissaient
les filles de ferme qui n'avaient aucun héritage. Sa beauté
n'était pas telle qu'ils passent sur ce gros inconvénient.
Alors ici non plus aucun bagnard ne la d é signerait.
Mais elle ne ressentirait pas la peine qu'elle avait pu éprouver
au temps de sa libre jeunesse quand un
de ces
garçons qu'elle avait remarqué au bal lui avait adressé
un so u rire
trompeur et en invitait une autre. Au contraire. Depuis qu'au cours
des pro m e nades dominicales
elle avait croisé le regard de ces hommes qu'on leur
destinait, elle avait été sérieusement refroidie
à l'idée de se retrouver seule avec l'un d'entre eux,
et, fin a lement,
après le discours de cet homme en costume blanc, elle n'avait
plus du tout envie de se marier. Cette méfiance était
chez elle de l'ordre de l'instinct. Cet homme se donnait beaucoup
trop de mal pour les convaincre avec ses yeux humides et sa voix
vibrante. Que cherchait-il à cacher ? En l'écoutant
parler, elle revoyait les futurs maris qu'il leur pr o mettait,
ces hommes avec leurs vêtements rayés qui traînaient
près du marché Étienne où ils dormaient
la nuit et qu'ils
lib é raient
au matin, quand les indigènes
arrivaient pour vendre les fruits qu'ils arrachaient à la
forêt, où les poissons aux yeux lourds qu'ils péchaient
dans les eaux boueuses du Maroni. Ces bagnards aux airs avachis
sentaient l'alcool à des dizaines de mètres et les
regardaient passer avec des regards torves et des sourires
en coin. Marie n'avait qu'une envie ; ne plus les croiser, ne jamais
les r e voir.
Personne n'avait appris à
Marie les
codes de la vie, ni la prudence, ni la vertu, ni la
morale, ni le bien ni le mal. Mais l'instinct parlait, et elle
savait reconnaître ce genre de regards.
    — Ne
vous fiez pas à vos premières impressions, continuait
l'i m perturbable
fonctionnaire de la pénitentiaire qui, tel un prêtre en
chaire s'octroyait le pouvoir de

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