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La Dernière Bagnarde

La Dernière Bagnarde

Titel: La Dernière Bagnarde Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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rieux
symptôme était arrivé assez vite, dès la
troisième de ces prom e nades
étriquées, et il avait fait naître chez Marie une
furieuse envie d'indépe n dance,
plus complexe que l'envie de liberté. Désormais la
promiscuité du groupe la révulsait. Les autres détenues
lui étaient d e venues
haïssables. Elles mangeaient son espace, elles étaient
les seules responsables de la saleté. L'enfer, dans l'espace
étroit du ca r bet,
c'était devenu les autres. Leurs odeurs, le bruit qu'elles
faisaient en se tou r nant
la nuit dans leurs couches, leurs incessants reniflements, leurs
f i gures
enla i dies,
leurs airs abattus, leur façon de se traîner et de
traîner avec elles toute leur crasse et leurs souillures, leurs
dése s poirs,
leurs disputes incessantes, la ruée sur la nourriture et les
vols. Dans ce cloaque où aucun être humain digne de ce
nom n'eût osé éprouver une parcelle
de joie, même leurs crises de fous rires
incontrôlés étaient d e venues
insupportables. Marie n'en pouvait plus de voir et d'entendre ces
la m beaux
d'humanité. Après quelques promenades, ce n'est plus au
bagne qu'elle voulait échapper, c'est aux autres. Elle rêvait
de la forêt toute proche qui l'aurait dissimulée à
leurs regards, à leurs cris. Les fuir était devenu son
obsession. Elle avait focalisé la possibilité de
ré a liser
ce rêve sur une allée de bambous qui dégageait un
l é ger
mystère dans lequel son imaginaire s'était e n gouffré.
    L'allée
des bambous, tel était son nom, était très
longue et bordée de hautes tiges au feuillage vert tendre qui
retombaient gracieusement en son centre, faisant comme une
interminable tonnelle sous laquelle on découvrait deux rails
parallèles. Une voie ferrée des plus inatte n due
courait sous cet écrin de ve r dure
légère qui laissait entrevoir, dans le fond de sa
perspe c tive
lointaine, une trouée de lumière. Où allaient
ces rails sur lesquels Marie imaginait des trains qu'on ne voyait
jamais ? Qui passait entre ces rails où il n'y avait jamais
âme qui vive ? Elle s'était construit une histoire.
Après avoir tourné et retou r né
les choses dans sa tête, envisagé de multiples
solutions, elle en avait conclu qu'on leur avait menti. Saint-Laurent
n'était pas une ville perdue dans la jungle et isolée
par le fleuve infe s té
de crocodiles et par l'océan. Ces rails, ce devait être
une voie ferrée qui servait au temps où l'on avait
construit les b â timents
officiels, et, tout au bout de cette allée, il devait se
passer quelque chose, y avoir du monde et de l'activité.
Pou r quoi
pas une vraie ville avec un vrai port ? Puisque à
Saint-Laurent il n'y avait que la terre pou s siéreuse
et les arbres, on avait dû y transporter les matériaux
des constructions solides, comme la mairie, la banque, le tribunal et
l'église. Et elle imaginait au bout de ces rails un port
v i vant
et grouillant par lequel les premiers fonctionnaires avaient dû
a r river
avec leurs familles et toutes leurs affaires. Cette e x plication
la soulagea, elle comprenait ainsi comment le bagne avait pu naître
sur ce territoire perdu où elle se trouvait. Saint-Laurent
n'était donc pas si isolé et seulement peuplé de
b a gnards
comme on le leur avait dit, sans doute pour leur faire peur et les
dissuader de fuir, mais au contraire une ville dans un coin du pays
auparavant relié à d'autres villes par différents
a c cès.
Dont ces rails. Et elle se confortait dans l'idée que ces
accès leur étaient cachés et que, si les rails
ne servaient plus aujou r d'hui
et si elle n'y voyait jamais personne, c'était parce qu'il y
avait maintenant ce nouveau quai qui permettait d'arriver directement
à Saint-Laurent. Sa trouvaille et la logique qu'elle dégageait
de ce ra i sonnement
l'avaient incroyablement apaisée. Mais elle gardait ses
d é ductions
pour elle-même et ne les part a geait
avec personne. Louise n'était plus là et les autres
étaient to u jours
à se surveiller, à s'insulter, à se chaparder
des bribes de nourr i ture,
abruties de travail, épuisées par les maladies. La
prison et l'entassement les rendaient plus seules et p a ranoïaques
que jamais. Elles se soupçonnaient les unes les autres au
moindre problème. Contrairement aux apparences puisqu'elles
étaient toujours en groupe, l'isolement de chacune était
immense. M a rie
avait appris à se passer de tout échange avec qui que
ce soit, et cette allée de bambous était devenue

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