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La Dernière Bagnarde

La Dernière Bagnarde

Titel: La Dernière Bagnarde Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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Comment?
    — Je
vais au kiosque, mais je ne veux pas me marier.
    — Mais
tu ne veux pas devenir libre ?
    — Si.
    — Et
comment vas-tu faire ? Tu ne seras libérée que si tu te
maries. Moi, ce n'est pas que je veux un homme, c'est que je veux
retrouver mes enfants. Une fois m a riée,
je l'expliquerai à mon mari et il m'aidera à les faire
venir ici.
    Elle
lui fit pitié avec ses illusions et sa figure a f freuse.
    — Faire
venir tes enfants ? Et comment ?
    — On
aura une concession. D'autres ont réussi il paraît,
pourquoi pas nous ? On gagnera de l'argent et on pourra leur payer le
voyage. Ça ne se fera pas tout de suite mais au bout de
quelque temps, un an peut-être. C'est long, mais je suis prête
à attendre.
    Elle
disait « nous » comme si elle était déjà
mariée. Elle ne doutait à aucun moment que les choses
pui s sent
ne pas arriver comme elle se l'était arrangé dans sa tête malade. En la voyant ainsi, affreuse dans son déguisement
qui la rendait si repoussante, Marie vo u lut
la mettre en garde.
    — Ces
hommes, tu les as vus aux promenades ?
    — Oui,
et alors ?
    — Ils
ont un mauvais regard. Tu n'en trouveras aucun pour faire ce que tu
veux. Ils ne font rien de la journée, tu as vu comme ils se
tra î nent,
comment tu veux qu'ils arrivent un jour à gagner
assez d'argent pour payer un tel voyage ?
    — On
aura une maison, je te dis, et je vais r e voir
mes petits.
    Elle
n'en démordait pas. Mieux valait ne plus la contrarier. Marie
ne put cependant se résoudre à la laisser croire à
quelque chose qui ne se ré a liserait
pas.
    — Tu
as vu leurs figures tordues ? Ils sont mauvais, il ne faut pas y
aller.
    — Tais-toi
! Tu ne sais dire que des méchancetés. Tu restes dans
ton coin et tu ne parles à personne ! Tu crois que je ne t'ai
pas vue ? Pour qui m te prends ? Tu es de la merde comme nous, et tu
ne veux pas le voir. Mais tu es laide comme nous, et sale, et
personne ne voudra de toi parce qu'en plus tu es une garce. Tu dis
que ces hommes sont ma u vais
? Mais qui tu es, toi, pour dire ça ?...
    Une
flamme l'avait gagnée, elle était transformée.
Elle toisait M a rie.
Son corps vibrait de colère et son v i sage
rayonnait.
    — ...
Moi je sais que je vais le trouver, mon homme, et même s'il a
été mauvais avant, il pourra devenir meilleur. On se
co m prendra.
Et je reverrai mes enfants parce qu'il m'aidera à les faire
venir ici. On aura une concession, on la cultivera et on réussira.
Toi, tu ne crois en rien et tu ne veux jamais rien ! Reste dans ton coin,
et crève !
    Marie
en resta bouche bée. Elle avait bien connu les cris et les
i n sultes
; elle avait l'habitude de laisser passer l'orage et de ne pas
r é pondre.
Cela aussi, elle l'avait appris très tôt, les filles
comme elles se faisaient to u jours
accuser de tout et n'importe quoi. Mais ce « crève »,
envoyé si violemment par une fille aussi misérable
qu'elle, l'ébranla.
    — Pourquoi
se méfier de tout ?
    Marie
se retourna. Rose s'était approchée. Marie vit qu'elle
aussi avait fait des efforts de présentation. Elle ne s'était
pas enfarinée comme Anne, mais elle avait noué un
ruban, sorti d'on ne sait où, dans ses cheveux, et elle avait
arrangé la robe de c o ton
avec le tablier noué par-dessus de façon agréable.
    — Que
tu ne parles plus à personne au carbet, je peux le co m prendre.
Avec les crises permanentes et le foutoir que c'est d e venu
on est toutes sur nos gardes. Mais que tu refuses même de
parler à des hommes que tu ne connais pas en les jugeant tous
mauvais, là je ne te suis plus. Tu veux quoi, Marie ? Cr e ver
ici, comme dit Anne?
    Marie
ne sut quoi répondre. Rose était celle qui, dans ce
cloaque de pauvres filles élevées de rien, avait le
plus de t e nue.
Elle ne braillait pas, n'insultait jamais, ne racontait pas
d'histoires de sexe ou de vices tordus qui faisaient rire aux éclats
tout le carbet. Marie aurait aimé se rapprocher d'elle, mais
leurs paillasses étaient éloignées et sœur
Agnès avait
r é quisitionné
Rose au service de la cuisine et du ménage. Elles ne se
croisaient pas de la journée. Le soir, entassées au
carbet, toutes deux s'effondraient de fatigue. Marie devinait chez
Rose une éduc a tion
que les autres n'avaient pas. Ce n'était pas diff i cile
de remarquer sa différence. Marie ne comprenait pas qu'elle
aussi s'apprête pour ces hommes. Avait-elle l'intention, comme
Anne, d'en épouser un ? Les avait-elle bien regardés ?
    — Tu
vas te marier

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