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La Dernière Bagnarde

La Dernière Bagnarde

Titel: La Dernière Bagnarde Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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douleur revenait, vi o lente.
La femme poussa un cri, affolée de le voir dans cet état,
ne comprenant pas ce qui se passait. Des employés accoururent
des b u reaux
voisins et on emporta Romain sous ses yeux. Il la vit une de r nière
fois en haut des marches. Petite silhouette blanche contre la l u mière
éclatante des murs.
    Les
employés le conduisirent aussitôt à l'hôpital
oh le m é decin-chef
était par bonheur présent. Son di a gnostic
fut rapide.
    — Un
ulcère, à votre âge ! Quelle idée de se
faire du mouron à ce point ! Romain, vous cherchez les
problèmes. Qu'alliez-vous faire dans le bureau de notre
directeur tout-puissant ? Ne me dites pas que vous y alliez pour sa
femme, vous me d é cevriez.
Elle est déjà atteinte d'une sévère
dépression, si en plus vous allez lui faire des frayeurs ou,
qui sait, des propositions malho n nêtes,
on n'a pas fini !
    Romain
sourit faiblement. Le médecin-chef était bien le seul
qui savait encore annoncer des vérités difficiles avec
un h u mour
qui les tenait à distance, m a nière
de ne pas sombrer.
    — Un
ulcère ?
    — Eh
oui, mon ami ! Et il va falloir faire avec. Je ne vais pas vous
opérer. Je préfère pas, vous le ferez quand vous
r e tournerez
en France. C'est plus sûr. Mais on va s'en occuper quand même.
Un régime strict et ça ira mieux. Pas d'excitants, et
surtout pas d'angoisses inutiles. Que s'est-il passé de si
te r rible
pour qu'une crise vous ait mis dans cet état ?
    Romain
raconta ses soupçons sur le trafic des femmes, le récit de
la mère supérieure et la présence du Chacal au
carbet. Le médecin-chef l' écouta sans l'i n terrompre. Quand
Romain eut terminé, il se leva sans rien dire et sortit de la
chambre. Il revint aussitôt avec trois cahiers
qu'il posa sur une petite table.
    — Voilà, dit-il. Dans
ces cahiers il y a
des dizaines et même des centaines de récits. Plus durs
les uns que les autres. Plus inadmissibles et ignobles les uns que
les autres. J'en ai vu et j'en vois encore, tous les jours. C'est
pour pouvoir continuer à so i gner
et à être utile, pour ne pas sombrer et éviter
les ulcères que je les couche sur le papier. Tous les
soirs depuis
des années. J'envoie mes notes à un ami en France. Pour
que rien de ce qui se passe ici ne soit perdu. Pour qu'on sache.
    — Le
docteur Mayeux ?
    — Oui,
c'est lui. Vous le connaissez. Il n'a l'air de rien, mais là-bas il se
démène. Il fait lire mes notes à gauche, à
droite, il fait tout pour qu'un journaliste vienne ici un jour,
et qu 'il écrive un grand
article. Il rencontre des politiques aussi pour que l 'un
d'eux se déplace et fasse à son r e tour un discours à la
Chambre des députés, à haute voix pour qu'aucun
ne puisse plus jamais dire qu'il ne savait pas.
    Romain
était perplexe.
    — Mayeux
! Ça alors, je ne me doutais pas qu'il était si...
actif. Il était toujours à fixer l'océan de la
fenêtre. Je le croyais... absent.
    — Nul besoin d'être
tapageur. Ici, sur le terrain, Mayeux ne tenait pas le coup. Ce n'est
pas un baro u deur,
c'est un homme de dossiers. Chez nous et en toute discrétion,
il est très eff i cace.
On se complète bien. Nous ne sommes pas tous pareils, l'esse n tiel
c'est de faire, d'agir.
    — L'engagement
?
    — Si
vous voulez, et quelle qu'en soit la manière. Mayeux
n'appa r tient
à aucun courant de pensée, pou r tant
il agit,
    Très
étonné de découvrir son instructeur sous un
autre jour, Romain prit les cahiers et les ouvrit. Ils étaient
re m plis
d'une écriture régulière et chaque récit
était précédé d'une date. Il y avait çà
et là de petits de s sins,
plutôt maladroits, d'ailleurs, mais explicites. On y voyait
des fo r çats
en train de tirer des charges dix fois plus lourdes qu'eux, des
v i sages
ravagés, des hommes nus dans des cours de bâtiments
discipl i naires,
des requins dévorant des bagnards morts qu'on jetait à
l'eau, un couple de ga r çons,
ménage où l'un avait les traits d'un homme et où
l'autre, visiblement plus jeune, jouait en quelque sorte le rôle
de la femme. Et un troquet rempli de d é sœuvrés.
    — C'est
le bar du Chinois, confirma le médecin pour répondre au
coup d'œil interrogatif de R o main.
    — Je
ne vois pas de femmes sur vos dessins. Ni au carbet, ni ai l leurs.
Vous ne parlez pas d'elles et vous ne les montrez nulle part ?
Pourquoi ?
    — À
vrai dire je ne sais pas. Leur arrivée est récente. Et
j'ai déjà tellement à raconter sur les

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