La Dernière Bagnarde
pourtant en
direction des bâtiments administr a tifs,
déterminé. On avait livré ces malhe u reuses
aux pires hommes qui soient et personne n'était là pour
les prot é ger.
Lui, il allait réagir.
— Je
connais mon métier, lui expliqua tranquillement le surveillant
en chef sur lequel il tomba dans le premier bureau. Tant que le
Ch a cal
s'en occupe, ça ne craint rien.
Romain
le regarda, horrifié. Dans ce fonctionnaire d'allure bo n homme
confortablement assis sur son fauteuil, et que rien ne semblait
émouvoir, il crut déceler une attitude perverse. Tout
le monde dans cette ville
était plus ou moins touché par la ga n grène,
et le milieu des surveillants plus qu'aucun autre. Au contact des
bagnards, usés par l'indifférence de leur hiéra r chie,
ils s'étaient vite laissé corrompre et beaucoup
trempaient dans les trafics. Cet homme était complice de ces tr a fics,
peut-être même en était-il le pivot. Romain en
était persuadé et il devinait maintenant ce qui avait
dû se passer. Cet individu couvrait la prostitution des femmes
au bar du Chinois et il touchait sa part. Maintenant que les sœurs
n'étaient plus là, les détenues étaient à sa
merci, et il leur avait envoyé le Chacal. Il avait fait entrer
le loup dans la bergerie sans aucun état d'âme. Révulsé,
Romain le regardait qui faisait tourner un crayon entre
ses doigts tout en continuant d'un air paisible à déverser
ses me n songes.
— Vous
êtes jeune. Vous venez d'arriver, vous ne pouvez pas
co m prendre.
Ces hommes font le boulot mieux que nous, ne me demandez pas
pourquoi, je n'en sais rien. Mais c'est comme ça. Faites-mol
co n fiance,
laissez faire. Sœur Odile a r rive
demain. Tout ira bien.
Ces
énormités relatées tranquillement sur un ton
bonhomme d é clenchèrent
la colère de R o main.
Il ne pouvait pas se porter caution plus longtemps de ce qui se
passait ici. Pour lui c'en était trop. S'il n'agissait pas
immédiat e ment,
il ne pourrait plus jamais se regarder en face. Il quitta le bureau
du surveillant en chef sans un mot et courut directement dans celui
du dire c teur
de Saint-Laurent-du-Maroni où il entra sans y être
invité. H é las,
le bureau était vide. Essoufflé, échevelé
et complètement retourné, Romain se laissa tomber dans
un fauteuil. Puis il te n ta
de rassembler ses esprits. Que faire ? Qui aller voir ? Son
médecin-chef ? À quoi bon, il ne le trouverait pas à
cette heure. Et puis c'était le meilleur des hommes et le plus
efficace mais son service lui prenait tout son temps et même
bien au-delà. Romain savait ce qu'il lui dirait. De faire son
travail et de ne pas user ses forces à e s sayer
de nettoyer une ville sur l a quelle
la boue coulait en permanence. Romain commençait à
avoir l'habitude des lieux et des att i tudes
des uns et des autres. Il était en pleine colère quand
une brusque douleur interrompit ses r é flexions
et le plia en deux. Ce n'était pas la première fois que
ça arrivait. Lui qui avait toujours été en
exce l lente
santé, il avait depuis quelque temps de te r ribles
migraines. Et il savait à quoi s'en tenir. Ce qu'il avait
mentalement tenté de supporter depuis son a r rivée,
son corps ne l'acceptait plus. Le pic de la crise dura une
inte r minable
minute, puis diminua petit à peut, laissant Romain épuisé.
A t tendant
que la douleur cesse totalement, il resta assis un moment, r e prenant
son souffle. Mach i nalement,
il jeta un coup d'œil circulaire sur l'endroit où il se
trouvait. Tout était en place dans ce bureau. N'eût été
le style colonial de ce r tains
objets, on se serait cru dans le bureau du maire de n'importe quelle
grande ville en France. Les fauteuils étaient cossus, le large
bureau Second Empire, et les meubles en bois marqu e tés
à incrustations de ferronneries dorées bri l laient,
bien entretenus. Derrière la vitre coulissante de l'un d'eux
qui faisait office de bibli o thèque,
des dossiers bien alignés donnaient le sentiment rassurant
d'a f faires
survies. Tout cela, bien que sobre, fa i sait
grand genre et devait en imposer sans mal aux visiteurs de ce coin
perdu où l'on n'avait j a mais
vu de bureaux. Suivant le cours de son inspection, Romain d é couvrit
aussi ce qui lui parut au premier abord être une gravure
accr o chée
au mur, mais qui, lorsqu'il se leva et s'en approcha, se révéla
être une reproduction de lavis de bistre sur préparation à la
pierre noire. Il en r e connut
immédiatement l'auteur. C'était
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