La Dernière Bagnarde
habituels cr a pauds
et, au loin, les cris désordonnés des oiseaux dans les
arbres. Personne ne semblait s'agiter derrière la palissade,
il n'y avait aucune vie. Les jambes de la mère supérieure
fla n chèrent.
Ce silence laissait présager le pire. Un flot d'émotion
mouilla le bord de ses yeux. La f a tigue
des jours de fièvre avait amoindri sa capacité de
résistance et fragilisé son cœur.
Elle
tenta vainement de refouler ces larmes qui affleuraient à ses
paupières, et c'est justement la première chose que
r e marqua
le Chacal quand elle arriva.
— Vous
pleurez ?
Elle
se redressa. Il ne fallait surtout pas qu'il pense qu'elle allait se
laisser faire. Elle était prête à tout a f fronter.
— Que
faites-vous là? lui lança-t-elle durement. Qui vous a
permis de vous approcher de mon carbet ?
— Je
suis là parce qu'on me l'a demandé, répondit-il
sans se laisser démonter. Ma présence ici est tout ce
qu'il y a de plus o f ficiel...
Toujours
des mensonges ! Qui aurait pu prendre une pareille déc i sion
? Elle s'avança, menaçante.
— Sortez
de là. Partez immédiatement !
Il
eut un drôle de sourire mais, à sa grande surprise, il
s'écarta sans difficulté. Elle se précipita dans
l'endos. Pe r sonne.
Avant de pousser la porte du carbet, elle ferma les yeux et respira
un grand coup, se prép a rant
par avance à l'innommable. On n'entendait rien. Enfin, elle se
d é cida.
La
surprise des femmes qui la virent entrer dans le carbet avec un
visage décomposé fut à la mesure de la peur
qu'elle portait sur ses traits : immense. Assises sur leur siège,
elles étaient en train de r e coudre
des pantalons de bagnard rayés. Elles furent si stupéfaites
qu'elles restèrent bouche bée, inc a pables
d'un mot. De son côté, quand la mère supérieure
les d é couvrit,
assises, calmes et bien vivantes, dans le même état que
celui où elle les avait laissées le matin où
elle les avait quittées, elle fut prise d'un tremblement
incontrôlable et, au grand ébahissement des b a gnardes,
s'effondra en larmes.
Elles
se levèrent toutes ensemble. Il y eut une bousculade
mal a droite
et, enfin, quand la mère supérieure eut repris ses
esprits et qu'elle fut assise, elles se m i rent,
et
d'une même voix, à lui raconter ce qui s'était
réellement passé depuis son départ.
Le
chef de dépôt les avait abandonnées. Il était
parti sans rien leur dire et, le soir même, le Chacal était
arrivé avec des hommes.
— On
l'a reconnu tout de suite, ma mère. C'est celui qui a tué
Louise...
— Je
ne vous dis pas la peur qu'on a eue en le voyant...
— On
s'est dit qu'on allait toutes y passer...
— On
était terrifiées...
— On
n'osait même pas se dire un mot entre nous...
— Ni
se regarder.
— On
attendait que tombent les coups.
— On
se préparait.
Elles
avaient formé un cercle autour de la mère supérieure
et pa r laient
les unes après les autres. Elles ne se coupaient pas la
parole, elles parlaient ensemble. Les mots se succédaient
f a cilement
pour dire ce qu'elles avaient vécu. À les écouter
r a conter
avec ferveur, et à les voir avec leurs figures encore marquées
par la peur, la mère supérieure mesurait l'intensité
du moment qu'elles avaient dû vivre, et les pensées
terr i fiantes
qui avaient dû s'emparer d'elles quand elles avaient vu ce fou
pénétrer dans leur carbet.
— Il
est entré sans frapper. On se préparait comme on vous
dit...
— Et
puis, à notre grande surprise, il n'y a rien eu. Il ne nous a
rien fait.
— Pas
de coups, pas d'agression, rien.
— Il
nous a dit de continuer à faire ce qu'on avait l'habitude de
faire...
— Que
sœur Odile allait revenir et qu'il se chargeait de nous
su r veiller
en attendant. Que pour la nourriture il y aurait ce qu'il faut, comme
avant, ni plus ni moins.
— Puis
il est ressorti avec les autres sans s'expliquer dava n tage.
Ils ont fermé la porte et on ne les a plus vus.
— Mais
on savait qu'ils étaient là. Tous les jours et toutes
les nuits. On les entendait. On a préféré ne pas
essayer de mettre le nez dehors, et faire comme il avait dit.
— On
a travaillé comme d'habitude. Enfin, sauf qu'on n'a fait aucun
bruit. Pas de dispute, a u cune.
On n'avait pas envie de les voir venir et on s'est dit qu'il fallait
rester discrètes. On était mortes d'inquiétude,
ma mère. On ne compr e nait
pas ce qui se passait ni pourquoi on ne vous
voyait plus. On se disait qu'ils pouvaient venir nous
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