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La Dernière Bagnarde

La Dernière Bagnarde

Titel: La Dernière Bagnarde Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernadette Pecassou-Camebrac
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une œuvre de
Jean-Honoré Fragonard qui représentait une allée
de parc italien, élégante inspiration due sans aucun
doute au voyage que le peintre fit, dans ce XVIII e siècle où toute personne de la bonne société
se devait de pa s ser
les Alpes. Romain esquissa un so u rire.
Fragonard était le peintre préféré de sa
mère. Elle aussi avait dans sa chambre deux reprodu c tions
de ses œuvres, dont une huile pleine de charme où un
couple de bergers enlacés dans un paysage d'arbres et de
prairies dégageait une délicate poésie de
clairs-obscurs. Tec h nique
raffinée dans laquelle le peintre excellait. Quand on lui
demandait pourquoi elle aimait tant cet artiste, sa mère
citait le mot d'un grand conservateur de musée : «
Fr a gonard,
c'est l'es sence
parfumée du XVIII e siècle.
»
    Romain
se moquait, il trouvait justement Fragonard trop parfumé à son
goût.
    — Mon
Dieu ! s'exclama-t-il, touché par cette rencontre inattendue.
Voir Fragonard ici ! Le XVIII e , la
France des L u mières
!!! Le savoir, la raison, et... le pa r fum.
    — Vous
aimez Fragonard ?
    Il
se retourna, pris en flagrant délit dans ce bureau où
il s'était i n troduit
alors que son occupant en était absent.
    — Je
vous ai fait peur, excusez-moi. Je suis la femme du d i recteur.
C'est moi qui ai accroché ce tableau dans son bureau. Je suis
sûre qu'il vous fait penser à quelque chose à
vous aussi, n'est-ce pas ? Pris de court par cette arrivée, il
bafouilla.
    — Euh...
non. Enfin... je ne sais pas...
    — J'étais
comme vous. Je ne savais pas exactement ce qu'il me ra p pelait,
et puis, à force de le regarder, j'ai compris. Cette allée,
on dirait l'allée des bambous ! Notre allée de
Saint-Laurent ! Tenez, s'il n'y avait pas ces petits personnages, là,
juste au milieu avec leur élégante tenue, on jurerait
que Fragonard l'a dessiné ici même. T e nez,
regardez, mettez-vous bien en face. La perspective, là, au
bout, avec cette l u mière
et cette voûte d'arbres au-dessus, c'est l'exacte réplique
de celle qui brille au fond de l'allée des bambous. Vous voyez
?
    Non,
il ne voyait pas bien, mais la femme s'était placée à
c ô té
de lui et, de son doigt pointé, elle désignait le halo
de l u mière
que Fragonard avait dessiné plus d'un siècle
aup a ravant,
à des milliers de kilomètres et sur un autre cont i nent.
    — Je
dois vous paraître idiote, continua-t-elle, mais cette allée
de bambous me fascine. Elle me fait rêver. C'est le seul
endroit vers l e quel
je vais quand je me promène.
    Elle
parlait toute seule, absorbée par le dessin de Fragonard dans
lequel ses yeux fiévreux plongeaient comme dans une oasis.
Elle d e vait
avoir une quarantaine d'années et en parai s sait
plus de cinquante. Son teint était cireux, terne. Surpris par
son attitude étrange, Romain se contenta d'opiner de la tête
pour marquer son assentiment. Mais v i siblement
elle n'avait pas b e soin
de ses réponses.
    — Je
rêve à la
France en regardant ce tableau, continua-t-elle, a b sente.
Je sais bien que c'est un paysage italien, romain même, je
crois. Pourtant elle me fait penser à mon
pays cette allée. Je la trouve rom a nesque,
comme notre pays.
    À
ces mots elle sortit brusquement de ses pensées et s'adressa
dire c tement
à Romain.
    — Qu'en
pensez-vous ? La France est bien une terre romanesque, n'est-ce pas ?
C'est que nous sommes civilisés, les villes sont soignées chez
nous, entretenues. Et nos campagnes, les champs de blé, et les
vergers, et les ruisseaux à 1 eau si claire ! Nos campagnes si
douces au printemps, très entret e nues...
(elle répétait ce mot mécaniquement)... Oui,
tout est entretenu chez nous, pas de boue dans les rues, pas de
broussailles, pas de jungle ni d'insectes partout qui vous assaillent
et vous piquent.
    Elle
était fébrile et parlait vite, enchaînant les
questions et les affi r mations.
Il ne sut quoi dire. Depuis le matin, pour lui, les situations se
succédaient, incohérentes, déstabilisantes.
Impossible de suivre le même fil. Son état d'esprit
changeait d'une minute à l'autre et il ne s'y retrouvait pas.
Il ne savait même plus ce qu'il faisait là, dans ce
b u reau.
    — Elle
me manque, la France, insista la femme du directeur. Et à
vous, elle vous manque aussi ?
    Elle
parlait à présent d'une voix très douce, comme
vaincue. Il allait ouvrir la bouche pour lui dire un mot, n'importe
quoi d'ailleurs, mais en fait de réponse il se tordit à
nouveau en deux. La

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