La dernière nuit de Claude François
elle peut :
— J’étais sur le palier, j’ai entendu le téléphone, j’ai rouvert la porte…
— Ne traîne pas. Tout est prêt pour ce soir ?
— Oui, on a fait les courses, elles sont dans le coffre.
— Ils ont bien sorti le mobilier de jardin ?
La fameuse note de service d’avant son départ en Suisse…
— Oui. Le barbecue aussi. Tout sera impeccable.
— Bien ! S’il fait aussi beau demain, on déjeunera dehors. Bon, allez, vas-y !
C’était une autre époque de la télévision. Celle d’avant l’audimat et le zapping. Celle des journaux présentés par Léon Zitrone. Celle de l’Eurovision avec son « Te Deum » de Marc-Antoine Charpentier en guise de générique. Celle où il n’y avait que trois chaînes – à défaut d’offrir une grande variété, elles forgeront une mémoire collective, car toutes les générations d’une même famille se retrouvent autour du même poste. Celle, aussi, des Buttes-Chaumont. Depuis que Léon Gaumont y a fait construire, en 1905, le studio le plus moderne du moment – grâce à l’électricité, on pouvait y filmer sans se soucier de la lumière du jour –, les studios de la rue des Alouettes constituent l’un des épicentres de l’audiovisuel parisien. Repris par la SFP
après l’éclatement de l’ORTF, c’est une véritable usine à divertissements cathodiques : six studios peuvent fonctionner en même temps. Des plateaux aux bars, en passant par les loges et les coulisses, animateurs, comédiens, chanteurs, attachés de presse, techniciens, se croisent, s’apostrophent, s’embrassent, s’évitent : c’est un concentré du petit monde du show business.
Comme tous les samedis, pendant que Guy Lux anime en direct « Loto chansons » sur la une, Michel Drucker enregistre, avec un jour d’avance, son émission dominicale. Comme souvent, Claude lui a réservé la primeur de son nouveau 45 tours, « Alexandrie, Alexandra ». La chanson figurant sur son dernier album, il l’a déjà interprétée durant l’hiver dans une émission des Carpentier mais, depuis, chaque fois qu’il l’a chantée, que ce soit pour RTL-TV, la RTBF ou la BBC comme à Leysin, l’Ampex est resté sous embargo.
Ce titre, personne n’en doute, est un futur numéro un : les rythmes disco n’ont jamais été aussi à la mode, et elles collent parfaitement avec son univers pailleté. Toute la force de Claude François est là : être toujours dans l’air du temps, un peu en avance même, jamais à la remorque. Il a repris les grands succès de la Tamla Motown bien avant que la soul ne soit en vogue en France. C’est ainsi qu’il a survécu aux années yé-yé qui
ont été une nursery mais aussi un cimetière de talents, à cinq ans d’intervalle. Dès qu’un courant musical s’essouffle, il en a déjà déniché un autre, grâce à ses directeurs artistiques, chargés de repérer en Angleterre et aux États-Unis ce qui se fait de mieux, car à l’époque les disques ne sortent pas au même moment en France. Au moulin de Dannemois, il dispose même d’une installation satellite sophistiquée qui lui permet de capter les grandes chaînes étrangères.
Sylvie Mathurin est arrivée plus tôt que prévu. Sa mission est de recréer un univers qui soit partout identique. Théâtre, chapiteau, plateau télé : depuis des années, l’ordre est figé de manière immuable et Claude ne supporte pas l’à-peu-près. Quand elle a commencé à s’occuper de sa loge, elle a dessiné un plan, avec la place de chaque accessoire et chaque produit : le miroir de maquillage au centre, une lampe de chaque côté, et, autour, les brosses, peignes, crèmes, lotions, vaporisateurs, inhalateurs, postes de radio, électrophone portatif – le walkman ne sera commercialisé que l’année suivante.
Tout à l’heure, elle l’aidera à se coiffer ; en revanche, elle le laissera se maquiller seul, c’est son habitude, mais elle restera en retrait, prête à bondir pour remplacer une lampe ou ramasser un accessoire tombé. Ensuite, elle l’habillera :
la chemise dont les pans ont été cousus façon body, pour qu’ils ne sortent pas du pantalon, les boots qu’elle prendra soin de talquer, les boutons de manchette, la cravate, et enfin la veste dont elle ajustera les épaules.
Maintenant qu’elle a tout installé, elle va rejoindre les Clodettes dans leur loge. Bises, plaisanteries, l’atmosphère est décontractée : pour une fois qu’elles sont
Weitere Kostenlose Bücher