La dottoressa
les intervalles. Le lendemain il a
pris le train pour l’Italie, et moi celui du retour à Seelisberg. Je n’avais
aucune crainte. Je n’ai pas pensé qu’il arriverait quoi que ce soit. Après tout,
Gigi avait bien sa Maja, lui.
Mais quand le train est entré en gare de Seelisberg, Gigi
était sur le quai, avec naturellement le chef de gare et le porteur, et il m’a
prise par le bras – il est resté très poli en m’accueillant et le temps de
nous rendre à l’hôtel ; mais alors là, brusquement, une fois dans la
chambre, il a empoigné une canne et il m’a battue si fort que j’ai cru périr. Je
n’ai absolument pas pipé, mais le petit Ludovico s’est mis à pleurer et ma
maman a frappé à la porte ; j’ai cru qu’il allait me tuer, mais je me suis
tenue coite parce qu’après tout il n’avait pas tort de me battre. Même, je me
suis remise à l’aimer, parce que c’était un homme et qu’il faisait bien de me
corriger. Seulement, non, ce qu’il a fait par la suite, ça, ce n’était pas bien.
DON DOMENICO ET LE DIABLE
Vint l’Armistice. Nous étions toujours à Seelisberg, malgré l’insistance
de Maman ; elle nous pressait de retourner à Vienne parce qu’il fallait
absolument qu’elle récupère son appartement. Et dire qu’à cause de l’argent, de
la dévaluation, elle a perdu même ça ! Il y avait eu l’emprunt de guerre, vous
savez, et le bruit commençait à transpirer que ce n’était qu’un chiffon de
papier, ce qui a fait qu’elle a dû se rendre à Vienne pendant que nous, nous
partions pour l’Italie.
Nous avons empaqueté le petit Ludovico et déménagé de
Seelisberg avec une malle grande comme un cercueil. Nous sommes descendus
directement sur Sorrente. Maja s’en était allée aux États-Unis et Wolkow en
Russie, où c’était la révolution ; jamais plus je n’ai entendu parler de
lui, tandis que l’autre histoire, Maja… ça ce n’était pas fini. Seigneur non !
Nous sommes arrivés avec notre énorme malle qu’on a chargée
sur un grand landau, et le tout à franchi la Teresinella avec nous jusqu’à l’hôtel
Manna à Positano. Le monde entier ne se ressemblait plus, à cause de cette
saleté de guerre ; Gigi et moi nous avions changé, mais pas Positano, non –
à part seulement les soirées sur la terrasse en compagnie de Frieda Abeles et
de son ami et avec Gigi penché sur sa guitare ; rien de tout ça n’était
plus là. Pourquoi est-ce que les bonnes choses s’en vont, tandis que les
mauvaises reviennent toujours, même la nuit dans les rêves ?
Le premier jour, nous sommes descendus sur la plage. Ludovico
avait deux ans et demi, il portait encore des robes et il est entré droit dans
la mer, comme s’il n’y avait pas eu plus de mer que de danger : je l’aurai
toujours devant les yeux. J’ai eu tellement peur, avec la petite robe qui
ballonnait sur l’eau ; et puis nous sommes allés le repêcher et nous lui
avons montré que juste en face il y avait des îles, les îles Galli, et il a
écouté les explications avec beaucoup d’intérêt. Tout l’intéressait. Cette
première nuit d’hôtel, quelle horreur ! Il y avait des punaises, mais le
lendemain matin quand nous sommes retournés à la plage, il m’a montré du doigt
les îles en disant : « Regarde, regarde, les Winzeln ! » en
mélangeant les mots allemands Wanzen (punaises) et Inseln (îles).
Nous sommes restés à Positano. Il y avait là d’autres
Italiens du nord du pays, avec lesquels Gigi est devenu tout de suite intime, et
il y avait un prêtre, don Domenico, dont il a fait son plus grand ami.
Ah ! ce don Domenico, c’était un curé, oui, le meilleur
qu’on puisse imaginer, mais pas un curé puritain pour deux sous. Ça, sûrement
non. Il aimait bien les petites filles tout comme les petits garçons, selon ce
qui lui tombait sous la main. Je me rappelle très bien, il avait toujours des
figues sèches ainsi que des noix et des amandes dans sa poche de… comment
est-ce qu’on appelle ça… soutane ? Et il disait aux petits garçons, et
aussi aux petites filles : « Viens par ici tâter un peu dans ma poche.
Tu y trouveras quelque chose pour toi. » Naturellement, il y avait les
figues, et quelle importance si les doigts touchaient autre chose en même temps ?
Ça ne faisait de mal à personne. C’était un très, très, très brave homme.
C’est à la même époque que se situe aussi un épisode dont l’écrivain
Andres s’est
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