La Fausta
lui allait mourir, et Maurevert allait vivre désormais sans terreur ! C’était bien là la malice du sort qui déjoue les projets des hommes ! Et il y avait une terrible amertume dans l’ironie suprême du sourire de Pardaillan…
Il regarda autour de lui et, dans cette course vertigineuse, il lui sembla reconnaître des détails, des maisons déjà, une rue connue… Une lueur d’espoir s’alluma dans son esprit : cette rue, c’était la rue Saint-Denis !… Et la rue Saint-Denis, c’était l’auberge de la
Devinière
… une retraite possible !…
Alors, avec ce suprême sang-froid qui naît parfois des circonstances désespérées, il médita la manœuvre ultime, si le mot méditer peut s’appliquer à ce rapide travail d’esprit qui dure une seconde.
Derrière lui, la troupe des cavaliers galopait éperdument. Il n’avait comme avance que deux ou trois longueurs de cheval. Sa bête épuisée, sanglante, écumante, ne donnait plus que ce galop raidi qui précède la chute. Pardaillan vit le perron de la
Devinière
, et se prépara : il abandonna la bride sur l’encolure et déchaussa les étriers ; en même temps passant la jambe par-dessus l’encolure, il se trouva assis sur la selle, à la manière des amazones : à cet instant, il atteignit la
Devinière
: il sauta !…
En même temps qu’il sautait, il cinglait le cou de son cheval d’un dernier coup de sa rapière. La bête, affolée de douleur, délestée d’ailleurs, rebondit avec une nouvelle vigueur et continua son galop furieux pour aller s’abattre enfin plus de cinq cents pas plus loin… Le peloton des poursuivants, lancé au galop de charge, passa comme une trombe…
Les premiers seuls avaient vu la manœuvre de Pardaillan et tentèrent de s’arrêter. Alors, ce fut une mêlée affreuse. Les cavaliers qui accouraient par derrière, lancés en une course frénétique, et quelques-uns même emballés, vinrent heurter ceux des premiers rangs comme des catapultes vivantes.
Cette scène horrible se passa à près de deux cents pas au-delà du perron. Les chevaux se mêlèrent ; cinq ou six s’abattirent ; une dizaine de cavaliers blessés ou désarçonnés par de furieuses ruades gisaient sur la chaussée ; les hurlements des blessés, les imprécations de ceux qui, restés à cheval, essayaient de se dépêtrer de l’inextricable fouillis, les cris de la foule assemblée en un clin d’œil formèrent une clameur terrible, et enfin, lorsque ces gens purent se reconnaître, lorsqu’un peu d’ordre se rétablit dans le peloton affolé de rage et de terreur, plus de cinq minutes s’étaient écoulées depuis l’instant où Pardaillan avait sauté ; sur la chaussée, il y avait deux morts, sept ou huit blessés, plusieurs chevaux sur le flanc.
Cependant le chevalier avait monté le perron de la
Devinière
au moment même où tout ce qui était dans l’auberge, buveurs, garçons et servantes, se précipitait dehors pour voir quel cyclone, avec un si effroyable tumulte, passait dans la rue. Ces gens virent Pardaillan qui montait. Et ils s’écartèrent, pris d’épouvante, dans leur étonnement.
Pardaillan, la rapière nue à la main, le pourpoint en lambeaux, du sang au visage, du sang aux mains, Pardaillan avait une si terrible figure qu’ils tremblèrent.
Pardaillan entra, jeta sa rapière et chancela un instant. Par un puissant effort, il réagit ; et, apercevant un gobelet plein de vin qu’un buveur avait laissé pour courir au perron, il le vida d’un trait. Alors, il ferma la porte et les fenêtres. Puis, avec cette sorte de tranquillité qui présidait à toutes ses actions, il se mit à barricader l’auberge ; entre la première fenêtre et la porte, il y avait un bahut chargé de vaisselle ; Pardaillan se mit à pousser le bahut ; ses muscles saillirent ; les veines de ses tempes se gonflèrent ; arc-bouté des épaules, il poussa d’un frénétique effort ; le bahut s’ébranla et vint se placer devant la porte…
Il passa dans la cuisine qui avait aussi une porte sur la rue. Et quelques instants plus tard, une armoire bouchait cette porte… Alors, haletant, il revint dans la salle commune et, saisissant une bouteille au hasard, se versa un grand verre de vin qu’il vida.
— Bonne idée, grommela-t-il, qu’a eue jadis maître Grégoire de placer des barreaux aux fenêtres ; cela m’épargne de la besogne, et vraiment, je n’en puis plus… ouf ! il est exquis, ce vin.
Une
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