La Fausta
l’endroit où elle reposait, vu qu’elle avait fait partie d’une troupe de baladins, bohèmes, faiseurs de tours, gens excommuniés de plein droit, mécréants et damnés.
Lorsque le cercueil eut été mis en terre, et que le fossoyeur commença à rejeter les premières pelletées, Belgodère saisit Violetta par la main et l’entraîna. La jeune fille le suivit sans résistance. Elle était mortellement triste. Sa main glacée tremblait dans celle du bohème. Il faisait nuit noire. La ville lui apparaissait comme une solitude affreuse. Elle marchait sans se rendre compte du trajet qu’elle accomplissait. Pourtant, au fond de son cœur empli de ténèbres rayonnait doucement une image consolatrice qui semblait l’escorter pour la protéger, et lui murmurer qu’elle n’était pas seule au monde.
Ce jeune seigneur au regard limpide, à la voix caressante… reviendrait-il ? Hélas ! Elle ignorait jusqu’à son nom… Mais il l’avait regardée avec une si fraternelle expression de pitié, elle l’avait vu si beau, si touchant, lorsqu’il était entré dans la roulotte, les bras chargés de fleurs, que son sein de vierge palpitait à ce souvenir, et qu’à son deuil filial se mêlait un émoi inconscient et très pur…
Oui, il reviendra !… puisqu’il l’a dit !… Demain !… Demain matin, elle le reverra !… Et les presque dernières paroles de la Simonne murmurent à son cœur une consolation :
— Ce jeune homme… ce sera ton sauveur… car il t’aime !…
Etre aimée de lui !… Quel rêve !…
Tout à coup, elle s’aperçut que Belgodère ne se dirigeait ni vers la place de Grève, ni vers la rue de la Tissanderie où se trouvait l’
Auberge de l’Espérance
.
— Où me conduisez-vous ? balbutia-t-elle, prise d’un nouvel effroi.
Le bohémien, sans rien dire, serra plus fort la main de Violetta et marcha plus vite. Il passa entre la double rangée des maisons d’un pont et, le fleuve franchi, tourna à gauche : l’endroit était sinistre ; c’étaient les noires et tortueuses ruelles des Ursins, d’Enfer, et enfin du Cloître… C’était la Cité !…
La Cité — l’île du Palais — se terminait par deux promontoires : l’un à l’ouest, c’était le terre-plein sur lequel s’appuyaient alors les premières constructions d’un nouveau pont inachevé où vingt-six ans plus tard devait s’élever le cheval de bronze portant la statue d’Henri IV, et qui continue encore, nous ne savons pourquoi à s’appeler le Pont-Neuf ; à l’est, c’était, derrière Notre-Dame et le palais archiépiscopal, une langue de terre sur laquelle se dressaient côte à côte deux constructions pareilles à deux sœurs se tenant par la main… mais deux sœurs dont l’une était une mignonne créature, et l’autre un monstre de hideur.
La première, petite, accorte, plaisante, ses fenêtres ornées de jolis vitraux, portait au-dessus de son perron une enseigne pimpante, enguirlandée, sur laquelle on pouvait lire ces mots assez bizarres qui peut-être faisaient allusion à la cuve où l’on presse le raisin… ou peut-être à quelque événement passé :
AUBERGE DU PRESSOIR DE FER
tenue par la Roussotte et Pâquette
L’autre maison, très grande, avait une face muette, effrayante, des murs pourris, lépreux, lézardés, de rares fenêtres clignotantes ; elle paraissait prête à s’effondrer de vétusté, d’abandon, de ruine ; elle suintait la tristesse, elle suait l’épouvante ; et son portail de fer, avec son énorme marteau de bronze, lui donnait une apparence de forteresse… une forteresse qui eût gardé des morts, des secrets monstrueux.
Le promontoire a disparu, rongé par les eaux patientes ; la maison terrible n’existe plus ; à sa place — ou presque — émerge timidement aujourd’hui un bâtiment humble et bas aux pieds duquel la Seine se lamente, comme alors, en clapotis d’effroi, et qui semble perpétuer l’horreur dans ce coin de Paris… La morgue !…
Belgodère, tenant toujours Violetta par la main, s’arrêta un instant devant l’
Auberge du Pressoir de Fer
; mais, secouant la tête, il marcha droit au formidable portail de la construction voisine.
— Où sommes-nous ? bégaya Violetta en jetant autour d’elle un regard éperdu.
Belgodère ne répondit pas. Il heurta le lourd marteau de bronze.
— J’ai peur ! Oh ! j’ai peur !…
La porte de fer s’ouvrit sans bruit. Violetta voulut se rejeter en
Weitere Kostenlose Bücher