La fée Morgane
l’impression d’une
vie intense, encore qu’elle ne fût qu’invisible. Avec son écuyer, il se
retrouva soudain à la lisière d’une forêt très dense. Il avait tant souffert de
la chaleur, alors que le soleil était ardent, vers l’heure de midi, qu’il
chercha un endroit pour se reposer et se rafraîchir. Il vit devant lui une
source à l’eau claire et limpide et dont le gravier brillait à la lumière. Elle
surgissait de terre dans un vallon, sous quatre pins qui répandaient un large
ombrage sur l’herbe verdoyante. Quel contraste avec la grande étendue
désertique qu’il venait de traverser ! Il admira la Source et trouva l’endroit
si beau et si agréable qu’il descendit de cheval, ôta la selle et le frein, puis
enleva son heaume et se dépouilla de son haubert, afin de mieux humer l’air et
de sentir l’air frais lui frôler la peau. Il avait grande envie de s’asseoir, éprouvé
par la chaleur torride. Mais tandis qu’il s’était allongé et s’apprêtait à
dormir, il vit venir un cavalier qui se dirigeait vers lui. Il se releva d’un
bond, sur la défensive, prêt à reprendre ses armes, mais le nouvel arrivant
enleva son heaume et il reconnut Lancelot.
« Beau cousin, s’écria celui-ci, quelle joie de te
revoir enfin, après si longtemps ! » Ils s’étreignirent avec la plus
grande affection et demandèrent des nouvelles l’un de l’autre. « Désarme-toi,
dit Bohort à Lancelot, et prenons un peu de repos, car il me semble que nous
avons beaucoup souffert de cette chaleur. » Ils s’étendirent tous deux
sous les ombrages en devisant à propos des aventures qu’ils avaient vécues. Puis,
après avoir bu longuement l’eau claire de la fontaine, ils décidèrent de
poursuivre leur chemin à travers la forêt. Ils arrivèrent ainsi à une autre
fontaine dont les eaux s’étalaient sous deux énormes sycomores. Ils s’arrêtèrent
de nouveau, sautèrent à bas de leurs montures et se désaltérèrent car ils
avaient encore grande soif. Alors qu’ils étaient penchés sur l’eau, ils
entendirent un grand bruit et, en se retournant, aperçurent un chevalier, vêtu
d’une armure noire, monté sur un cheval noir. « Que faites-vous là ? demanda
le nouvel arrivant. – Tu le vois, répondit Lancelot, nous buvons, car la
chaleur est telle que nous avons très soif. – Ne savez-vous pas que cette
fontaine m’appartient et que personne n’a le droit d’y puiser de l’eau sans mon
consentement ? Vous paierez cher votre témérité ! » Et, brusquement,
il se recula et se mit en position de combat.
Lancelot ne perdit pas de temps à le défier. Il sauta sur
son cheval et se précipita sur l’intrus. « Dis-moi ton nom ! s’écria-t-il.
– Je suis Bélyas le Noir, le maître de cette forêt et de cette fontaine, et je vous
interdis bien d’y rester, car je vous juge les pires mécréants qui se puissent
trouver ! » À ces mots, Lancelot se précipita la lance en avant, et
Bohort en fit autant. Voyant qu’il était assailli par deux chevaliers bien
décidés à ne pas se laisser faire, Bélyas prit le parti de s’enfuir. Lancelot
et Bohort se lancèrent à sa poursuite, et bientôt ils le virent pénétrer dans
une forteresse. Ils y entrèrent à leur tour, mais ils ne trouvèrent aucune
trace de leur adversaire. Dans la forteresse, tout était vide il ne semblait
pas y avoir d’êtres vivants. Les deux cousins descendirent de leurs chevaux et
se mirent à explorer minutieusement les recoins de la cour et les chambres
fortes qui s’ouvraient sur elle. « Quelle étrange forteresse ! dit
Bohort. J’ai l’impression qu’elle est abandonnée depuis bien longtemps. »
Cependant, dans une chambre à demi enterrée, ils découvrirent un homme qui
était enchaîné à des anneaux fixés dans le mur. Lancelot leva son épée et, de
plusieurs coups d’une grande violence, il fracassa les chaînes et libéra l’homme.
Celui-ci se redressa en titubant et se dirigea vers la porte. « Mordret ! »
s’exclama Lancelot. Bohort le regardait avec étonnement, car il n’avait jamais
vu cet homme. « Oui, dit le prisonnier, c’est moi, Mordret, fils du roi
Loth d’Orcanie et de la reine Anna, sœur de notre roi Arthur. Je suis le frère
de Gauvain et de Gahériet. Lancelot me connaît bien, mais toi, qui es-tu ? »
Il y avait une certaine arrogance dans la voix et dans le regard de Mordret, et
Bohort se sentit soudain mal à l’aise. « Je suis
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