La Femme Celte
d’un
homme, Arianrod n’a que faire de ses enfants ; ils appartiennent de droit
à la tribu, au tuath , si l’on veut, dont les
chefs sont son oncle maternel et son frère, et c’est à eux de s’en occuper au
nom de la collectivité. Une seconde réponse, c’est qu’Arianrod, représentante
de l’ancienne loi, n’a plus rien à faire dans la nouvelle société régie par les
hommes et dans laquelle elle n’occuperait plus qu’une place subalterne, une
place de mère soumise à une autorité
paternelle, car sa qualité de mère responsable la placerait automatiquement
dans un état d’infériorité.
Et puis, il faudrait réfléchir au rôle qu’on voulait lui
faire jouer, celui de porte-pied . Et c’est là,
dans cette histoire passablement embrouillée, que jaillissent quelques lueurs.
En effet, les Lois de Howell Dda , qui
représentent l’évolution médiévale du droit primitif celtique, font mention,
parmi les fonctionnaires de la cour du roi, d’un personnage appelé troediawc , c’est-à-dire porte-pied .
Son rôle consistait à tenir le pied du roi dans son giron, depuis le moment où
il s’asseyait à table, jusqu’au moment où il allait se coucher. Pendant tout ce
temps, il avait le devoir de gratter le roi et de le protéger contre tout incident.
Il avait de grands avantages, une terre libre, un cheval fourni par le
roi ; il mangeait au même plat que le roi. Si on lui faisait un tort
quelconque, la compensation qu’on devait lui payer était de cent vingt vaches,
et sa valeur personnelle était de cent vingt-six vaches, et chose très
importante, il pouvait protéger un coupable en le faisant sortir pendant
l’espace de temps durant lequel le roi avait les pieds dans son giron [171] .
Il faut tout de suite remarquer que, pendant que le roi a les pieds dans le giron du troediawc ,
ses fonctions royales sont en sommeil, il n’est plus
vraiment roi , puisque son droit de justice lui est retiré au profit du
« droit de clémence » détenu par le troediawc .
Ainsi s’explique le fait que Math ne pouvait vivre en temps de paix que les
pieds dans le giron d’une « pucelle » : il était atteint d’une
maladie qui l’empêchait de régner (l’impuissance sexuelle), et pour sauver les
apparences, il devait toujours rester entre le début du repas et son coucher,
façon très particulière et fort spécieuse de tourner l’interdit et de demeurer
roi tout en mettant en sommeil ses fonctions royales.
Une deuxième remarque va plus loin : cette institution
du troediawc est pour le moins curieuse, et
comme toutes les institutions curieuses, elle semble avoir une origine fort
ancienne, probablement pas très bien comprise par les rédacteurs des Lois du X e siècle. Si au X e siècle,
la fonction est confiée à un homme, c’est normal : il s’agit d’une société
paternaliste. Mais le récit de Math ab Mathonwy représente une tradition ancienne. Ce n’est pas un homme qui occupe la fonction
de troediawc , mais une femme. Cela change bien
de choses, car c’est l’indice, non pas d’une situation antérieure, mais du
souvenir d’une situation antérieure, qui, combinée avec le régime matrilinéaire
qui apparaît encore très nettement dans le récit du Mabinogi ,
place Math à la charnière de deux types de civilisation.
L’image du roi impuissant, les pieds dans le giron d’une
« pucelle », c’est-à-dire d’une morwyn ,
c’est-à-dire d’un être primordial et féerique issu de la mer, une morgan si l’on préfère, est simplement l’image du
Roi surgissant du Sein de la Femme. Et par voie de conséquence, le pouvoir
royal, pouvoir que Math incarne d’ailleurs très mal, provient en ligne directe
de sa filiation utérine, provient de la Femme qui est la véritable Souveraine,
la détentrice de la Vie. On pense à l’échelle de Jacob, où le personnage
féminin originel a été transformé par les Hébreux paternalistes en personnage
masculin. La Souveraineté, qui est incarnée la plupart du temps dans les
légendes celtiques par une femme, est cette « pucelle » où Math doit
tenir ses pieds sous peine de ne plus pouvoir régner. Lorsqu’il apprend que son
neveu Gilwaethwy, aidé par Gwyddyon, a outragé celle qui occupait cette noble
fonction, il est obligé de la remplacer, car la Souveraineté ne peut être
outragée impunément. D’ailleurs, par qui a été outragée cette
souveraineté ? Par son propre neveu, le fils de sa sœur.
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