La Femme Celte
Jéhovah, lui
notifièrent qu’elle perdrait chaque jour cent de ses propres enfants si elle ne
revenait pas. Lilith accepta le marché. Alors les trois anges voulurent la
noyer dans la Mer Rouge, mais Lilith plaida sa cause et eut la vie sauve à
condition qu’elle ne ferait jamais de mal à un enfant nouveau-né, là où elle
verrait son nom écrit. Enfin Jéhovah donna Lilith à Sammaël (Satan), et ce fut
la première des quatre femmes du diable, en même temps que la persécutrice des
nouveau-nés (Drach, De l’harmonie de l’église et de
la synagogue , II, p. 319).
Il semble bien que cette curieuse tradition corresponde en
tous points à la tradition celtique concernant Blodeuwedd. Comme Blodeuwedd,
Lilith est une création du démiurge. Elle est donnée à Adam, comme une femme-objet. Elle se révolte et refuse d’obéir à Jéhovah,
c’est-à-dire au Père. Et comme Gwyddyon ne peut se débarrasser de sa créature
Blodeuwedd, Jéhovah ne peut pas se débarrasser de celle qu’il a créée en même
temps qu’Adam : il ne peut que l’écarter [219] .
Et surtout, le nom de Lilith , qui est très
révélateur, la rattache indéniablement au mythe de Blodeuwedd.
En fait, le nom de Lilith ne se trouve cité qu’une seule fois dans la Bible : il y est dit, à propos
de l’Idumée, contrée d’Édom, au sud-sud-est de la Palestine, réduite à l’état
de désert, que « la Lîlît y aura sa
demeure, elle trouvera là le lieu de son repos » ( Isaïe , XXXIV, 14). Le mot Lîlît ,
qui est à rapprocher de l’assyrien Lîlîtu , de lilaatuv , « soir », signifie proprement nocturne.
Il semble désigner un oiseau nocturne de mauvais augure, analogue au
chat-huant, ou à la chouette (latin noctua ),
ce qui nous ramène à Blodeuwedd métamorphosée en hibou et condamnée à errer
pendant la nuit. On pourrait également penser aux Lîlu de la mythologie assyrienne, qui sont de mauvais esprits toujours prêts à
surgir dans l’obscurité.
Or la Lîlît du texte hébreu
est traduite par όνοκενταυρος
dans la version grecque des Septante, et par Lamia dans la Vulgate latine de saint Jérôme. L’
όνοκενταυρος,
l’onocentaure, est un animal fabuleux, moitié humain et moitié cheval ou
âne : il n’y a guère de rapports apparents avec le mythe de
Lilith-Blodeuwedd. Mais les lamiae sont
beaucoup plus intéressantes. D’abord elles sont bien connues dans les
traditions grecques ou latines. C’étaient des monstres voraces et nocturnes,
apparaissant souvent sous forme d’oiseaux, et dont la croyance populaire avait
fait des épouvantails [220] . Aristote décrit la Lamia comme une sorte de requin ( Hist. animal . V, 5). Dans les Métamorphoses d’Apulée, des sorcières nocturnes sont
comparées à des lamiae (I, 17). Un peu plus
loin, le héros de l’aventure, Lucius, aperçoit son hôtesse Pamphila, qui est
sorcière, prête à s’envoler sous forme de hibou (III, 21). Chez la plupart des
auteurs, il s’agit en tout cas de monstres féminins qui dévorent les hommes et
les enfants. Ils sont analogues aux fameuses striges ,
êtres à moitié femmes et à moitié oiseaux, et dont nous parle Ovide dans les Fastes (VI, 135 et suiv.), « volant, à travers
la nuit, à la recherche des enfants et des nourrices sans lait, et souillant
les corps arrachés aux entrailles de celles-ci ». Les lamiae sont encore assimilées aux Harpies qui sont
le nom donné aux vieilles femmes qui se changent en bêtes pour venir mutiler
les cadavres (Apulée, Méta . Il, 23). Enfin, il
est certain que la Lamia ou la Lîlît a quelque chose de commun avec la Ghula des traditions arabes [221] ,
laquelle est devenue la « Goule, » ou même « la Goulue »,
nom que les contes folkloriques français donnent quelquefois aux fées qui
emportent les petits enfants dans leurs grottes souterraines [222] .
Mais le rôle de Lilith ne semble pas être terminé
lorsqu’elle rejoint Satan, bien au contraire. D’après le Zohar ( Hhadasch ,
section Yitro, p. 29), elle participe ensuite à la perdition d’Adam,
auquel Jéhovah a donné comme deuxième épouse, Ève, née de sa propre côte
(c’est-à-dire à l’image de l’homme, reflet de l’homme, image châtrée d’Adam).
« Après que le Tentateur (Sammaël) eut désobéi au Très Saint, béni
soit-il, le Seigneur le condamna à mourir. Alors il dit : Que vais-je
faire ? Si je meurs, Adam prendra un autre serviteur. Car le
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