La Femme Celte
prison et
devenue la proie des cauchemars »). Une première expédition les conduit,
une nuit, à l’asile où se trouve Marcelle. Puis, ils y retournent et enlèvent
la jeune fille qu’ils amènent dans leur chambre. Mais Marcelle s’enferme dans
la fameuse armoire et se pend. Simone et le narrateur accomplissent l’acte
charnel sur le cadavre de Marcelle, mais désormais, liés par une force
mystérieuse. Puis, privés de Marcelle, ils errent à travers le monde à la
recherche de jeux sexuels de plus en plus compliqués et de plus en plus cruels
sans pouvoir jamais satisfaire pleinement leurs désirs.
En dehors du contexte particulier qui est l’univers fantasmatique
de Georges Bataille, ce conte met en évidence l’aliénation du couple qui ne
peut arriver au bout de ses désirs parce que la femme n’est pas en possession
de tous ses moyens, n’est pas en possession de sa véritable personnalité.
Marcelle et Simone ne sont que les deux aspects d’une même femme que l’homme,
malgré toute son imagination et toute sa perversité (laquelle
est une révolte contre l’état de fait), ne peut pas reconstituer. Marcelle ne
sera jamais Simone et inversement, alors que tous les efforts des protagonistes
du drame tendaient à unifier les deux femmes en une seule et entière figure.
Simone sent confusément qu’elle n’est qu’une Ève, qu’elle n’est que la forme
châtrée d’Adam. Elle est hantée par l’image de Lilith et l’appelle de tous ses
vœux. Mais dans le contexte de culpabilité qui est celui de notre société,
Lilith est interdite : elle se cache dans l’armoire, elle est internée
dans un asile, elle se pend dans l’armoire. Ce sont autant de symboles,
parfaitement inconscients chez l’auteur, pour marquer le refoulement de Lilith
dans les ténèbres. En dépit de la tentative de révolte, Blodeuwedd est toujours
oiseau de nuit. Marcelle n’est plus qu’une ombre qui hantera férocement la
mémoire des deux amants qui savent désormais que leur lutte est sans
espoir : ils savent ce que cela aurait pu être et ne peuvent donc plus
trouver aucune satisfaction, car Simone est l’Ève châtrée, privée de son aspect
interdit. Ce conte de Georges Bataille dépasse de loin la simple anecdote, ou
la simple transcription des « obsessions » de l’auteur : c’est
en fait l’actualisation de tous les fantasmes de l’être humain à la recherche
de son équilibre, équilibre que ne peut en aucune façon lui donner la société
actuelle à cause de ses exclusivités paternalistes. Et tant que Blodeuwedd sera
hibou par la volonté de Gwyddyon, il en sera ainsi.
Le deuxième exemple littéraire qui nous servira
d’illustration du thème sera emprunté à Rémy de Gourmont, auteur qu’on
chercherait en vain à classer parmi les naturalistes ou les décadents de la fin
du XIX e siècle. En fait, l’esprit
symboliste imprègne son œuvre, curieuse à bien des égards, et très nettement
« fin de siècle ». Rémy de Gourmont a en effet écrit une pièce de
théâtre – injouable – à laquelle il a donné le titre de « Lilith » et
dont l’argument repose sur la tradition rabbinique de l’épouse de Satan. Cette
pièce, disons-le, est le comble du mauvais goût, et par là même,
paradoxalement, elle confine au génial. Et de plus, l’érotisme avec lequel Rémy
de Gourmont assaisonne son texte témoigne d’une vision authentique du mythe de
Lilith complètement déformée par un écran qui est celui de la société
masculine, celle de l’auteur, et dont il ne peut se débarrasser. Rémy de
Gourmont est incontestablement attiré par le personnage de Lilith qu’il tente
de faire surgir à la lumière du jour. Mais il en est si effrayé qu’il le cache
immédiatement sous les mots de « perverse », de
« dépravée », de « vicieuse », qui satisfont son complexe
de culpabilité.
Lilith (Rémy de
Gourmont) : Jéhovah crée Lilith, la première femme. Elle lui réclame
immédiatement un mâle. Il la donne à Satan.
« SATAN. – Salut, compagne que me donne
l’inexpérience de Jéhovah ! Salut, beauté de hasard échappée à ses doigts
vieillis ! Salut, fille de joie ! Salut, Luxure ! Ce vice me
manquait. Ha ! ceci est une pâture plus réjouissante que l’orgueil.
L’orgueil est creux…
(Caressant à pleines mains les seins de Lilith
qui se laisse faire, les yeux fermés.)
… Ceci est plein, ceci est chaud, ceci est
doux !
(Les
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