La Femme Celte
l’ objet et de celle qui le porte, tandis
que l’auteur gallois et l’auteur allemand mettent l’accent sur les cris de
douleur et de deuil poussés par les assistants, cris encore peu compatibles
avec une cérémonie religieuse chrétienne. Là aussi, il ne faut pas oublier le
thème de la vengeance. À la fin de Peredur ,
nous aurons une explication, ou une tentative d’explication : « La
tête était celle de ton cousin germain. Ce sont les sorcières de Kaerloyw qui
l’ont tué ; ce sont elles aussi qui ont estropié ton oncle… Il est prédit
que tu les vengeras [259] ». Et cette
vengeance réapparaît curieusement dans la version sophistiquée de Wolfram –
alors qu’il n’en est pas question chez Chrétien –, à tel point qu’on peut se
demander si Wolfram n’a pas eu des contacts directs avec des auteurs bretons ou
gallois, même par l’intermédiaire d’un quelconque traducteur qui pourrait être le
fameux « Kyot le Provençal », derrière lequel il s’abrite
constamment. En effet, lorsque Parzival décide de quitter sa mère, celle-ci ne
se contente pas, comme dans l’ouvrage de Chrétien, de lui donner des conseils
stupides, elle lui révèle quelque chose d’important : « Il faut
savoir aussi, mon enfant, que l’audacieux et superbe Le
Hellin s’est emparé, malgré tes vassaux, de deux de tes états
héréditaires, Galles et Norgalles [260] . De sa main il a donné
la mort à Dorgental, ton vassal ; il a battu tes gens ou les a faits
prisonniers. » Et Parzival répond : « Je m’en vengerai, mère,
avec l’aide de Dieu ! mon javelot le frappera [261] . »
Certes, Parzival a quelque peu oublié cette vengeance, mais on se demande qui
est le superbe Le Hellin. Le nom n’a rien de celtique : il évoque plutôt
l’anglais hell , provenant du germanique et
désignant les enfers, l’Autre Monde. C’est ainsi que la Chasse Diabolique,
encore vivace dans les traditions populaires du nord de la France, est souvent
nommée Mesnie Hennequin ou Mesnie Hellequin . Au XIII e siècle,
le trouvère Huon de Méry en parle dans son Tournoiement
Antéchrist , et dans le Jeu de la Feuillée ,
d’Adam de la Halle, un dénommé Croquesot se présente à la fée Morgue (=
Morgane), comme messager d’Hellekin, roi de Féerie. Bien que la présence du mot hell ne soit pas attestée en celtique, il faut
peut-être voir dans le Yeun Ellez , ce marécage
situé près de Brasparts (Finistère) et qui passe pour être l’entrée des enfers,
ainsi que dans la forêt de Brocéliande ( Bréchéliant ),
un souvenir d’un ancien mot indo-européen aujourd’hui perdu en breton.
Mais quoi qu’il en soit de cette vengeance sanguinaire, elle
semble bien s’exercer sur des êtres de l’Autre Monde : Parzival doit
lutter contre Le Hellin, de toute évidence un démon, au sens médiéval du mot,
tandis que Peredur doit combattre les sorcières de Kaerloyw. On notera
cependant que Parzival oublie sa mission, et que Peredur ne peut tuer lui-même
les sorcières de Kaerloyw, car il a été leur élève : il les fait tuer par
Arthur et ses guerriers. Il faudrait d’ailleurs, à ce moment-là, parler de
Kundry la Sorcière, personnage ambigu qui, à l’analyse, se révélera la
véritable maîtresse du Graal. Là encore, Wolfram d’Eschenbach paraît plus près
de l’archétype.
Mais Wolfram, dans sa longue, très longue description du
Cortège du Graal, où pourtant son imagination s’est mise à fonctionner avec un
véritable délire, s’est bien gardé, lui-aussi, de nous révéler ce en quoi
consiste le Graal. Nous savons seulement que le Graal se trouve sur un coussin
d’émeraude verte, c’est-à-dire sur un plat d’émeraude. Quant au Graal, c’est
par une périphrase métaphorique qu’il est désigné : « la racine et le
couronnement de ce qu’on souhaite en paradis ». Il faut avouer que cela
peut tout dire. C’est seulement lorsque Parzival rencontrera l’ermite
Trévrizent qu’il saura – et nous avec – ce qui se trouvait sur le plat
d’émeraude.
Parzival (Wolfram d’Eschenbach) : « Tout ce dont ils se nourrissent leur vient
d’une pierre précieuse, qui en son essence est toute pureté. Si vous ne la
connaissez pas, je vous en dirai le nom : on l’appelle Lapsît exillis . C’est par la vertu de cette pierre
que le phénix se consume et devient cendres ; mais de ces cendres renaît
la vie ; c’est grâce à cette pierre que le phénix
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