La Femme Celte
accomplit sa mue pour
reparaître ensuite dans tout son éclat, aussi beau que jamais. Il n’est point
d’homme si malade, qui, mis en présence de cette pierre, ne soit assuré
d’échapper à la mort pendant toute la semaine qui suit le jour où il l’a vue.
Qui la voit cesse de vieillir. À partir, du jour où cette pierre leur est
apparue, toutes les femmes et tous les hommes reprennent l’apparence qu’ils
avaient au temps où ils étaient dans la plénitude de leurs forces. S’ils
étaient en présence de la pierre pendant deux cents ans, ils ne changeraient
pas ; seuls leurs cheveux deviendraient blancs. Cette pierre donne à
l’homme une telle vigueur que ses os et sa chair retrouvent aussitôt leur jeunesse.
Elle porte aussi le nom de Graal… Chaque vendredi saint (une colombe) vient apporter
à la pierre la vertu de fournir les meilleurs des breuvages et les meilleurs
des mets… Le paradis n’a rien de plus délicieux… La pierre procure en outre à
ses gardiens du gibier de toutes sortes » (trad. Ernest Tonnelat, II,
36-37).
Cette description, aussi longue et interminable que celle du
Cortège du Graal, doit être, avant toute chose, replacée dans le cadre des
préoccupations de Wolfram d’Eschenbach. Il a trouvé dans la mystérieuse
évocation de Chrétien la matière d’une réflexion mystique agrémentée, selon la
mode alors en usage en Allemagne, d’une coloration nettement ésotérique. Les
gardiens du Graal sont des Templiers, ordre militaire et religieux, certes,
mais dont certains aspects sont comparables à ceux des sociétés secrètes,
hermétistes ou autres. Et puis, nous sommes en pleine vogue de
l’Alchimie : c’est pourquoi cette description pourrait en fait fort bien
convenir à la description de la Pierre Philosophale, but des Alchimistes (qui
s’intitulent eux-mêmes Les Philosophes ), et
qui est à la fois la somme de toute sagesse et de toute science, le moyen de
fabriquer de l’or à volonté, et enfin une panacée universelle capable de guérir
les maladies et de conserver la jeunesse.
Il est inutile de nous lancer dans une discussion sur le
Graal considéré comme la Pierre Philosophale, encore que cela pourrait éclairer
le problème sous un jour nouveau. Mais cela nous mènerait parfois loin du sujet
qui nous préoccupe, la féminité du Graal, ou tout au moins l’idée féministe qui
se cache derrière le Graal, son cortège, son rituel et tout son contexte. On
remarquera d’abord que Wolfram ne nous a pas appris grand-chose en
réalité : nous savons seulement que le Graal est une énorme émeraude, et
que sur cette émeraude il y a un pouvoir qui
est apporté chaque vendredi saint par une colombe, ce qui symboliquement veut
dire que cette pierre a un pouvoir spirituel, ou d’origine spirituelle. Encore
une fois, comme dans Chrétien de Troyes, c’est le récipient (ici le plat
d’émeraude) qui est le Graal. C’est donc le contenant qui est le Graal. Quant au contenu , ni
l’auteur champenois [262] , ni l’auteur allemand
ne le décrit. Seul l’auteur gallois spécifie qu’il s’agit d’une tête d’homme
coupée. Et l’on peut quand même dire que dans l’esprit de Wolfram, la
pierre-graal joue le rôle principal : c’est en effet à la pierre que la colombe du vendredi saint
communique son pouvoir. Donc, en mettant à part Chrétien qui est muet sur la
question, on peut constater que le pouvoir actif du Graal, c’est-à-dire son contenu , est, avant la version cistercienne (qui
élude la question en proposant le sang du Christ), soit une tête , soit une pierre .
Pourquoi ces deux solutions qui paraissent si contradictoires ?
Le mythe de la Tête Coupée remonte fort loin dans la mythologie
et dans l’histoire des Celtes, et nous en avons des preuves indubitables dans
les auteurs latins et grecs, Tite-Live en particulier, dans les musées du Midi
de la France, lesquels conservent d’étranges accrochoirs à crânes. Les Gaulois,
et il n’y a pas de raisons pour douter que les autres Celtes n’aient point eu
le même usage, avaient l’habitude de couper les têtes de leurs ennemis vaincus
et de les conserver, non seulement en tant que trophées de guerre, mais aussi
en tant qu’objets sacrés [263] . Et cet usage ne paraît
pas étranger à la présence d’une tête sur le plateau tenu par les deux jeunes
filles, dans le récit de Peredur . L’exemple
historique le plus connu est celui du consul romain Postumius,
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