La Femme Celte
.
Une autre pierre magique est célèbre dans la tradition irlandaise,
il s’agit de la « Pierre de Fâl », qui est une Pierre de Souveraineté.
« De Falias fut apportée la Pierre de Fâl qui était à Tara, elle criait
sous chaque roi qui gouvernait l’Irlande [278] ». « La
Pierre de Fâl, la Pierre-Pénis… quand un homme devait avoir la royauté de Tara,
elle criait… de sorte que tout le monde pouvait l’entendre [279] .
« Conn vit une pierre à ses pieds. Il monta dessus et la pierre cria de
telle sorte qu’on l’entendit à travers Tara. Conn demanda aux fili pourquoi la pierre avait crié et quelle sorte
de pierre c’était. Les fili demandèrent un
délai de cinquante et trois jours pour répondre. Ils dirent enfin que le nom de
la pierre était Fâl [280] . Elle était venue de
l’île de Fâl à Tara, au pays de Fâl. Elle aurait été à Tailtiu où avaient lieu
les célèbres jeux, et un chef qui l’avait trouvée le dernier jour des fêtes de
Tailtiu serait mort dans l’année. Le nombre de cris que la pierre avait poussés
lorsque Conn avait mis son pied sur elle signifiait le nombre des rois de sa
race qui régneraient sur l’Irlande [281] . »
Or, non seulement cette pierre de Fâl peut être comparée à
l’objet que l’on appelle le Graal, mais elle joue un rôle certain dans la Quête
de Graal elle-même. Lorsque le roi Arthur fonde l’institution de la Table ronde
(qui, après tout, semble bien être du même genre que la confrérie irlandaise
des Fiana , ou celle de la Branche Rouge),
Merlin l’Enchanteur lui donne le conseil suivant : « À la droite de
monseigneur le roi demeurera toujours un siège vide en mémoire de
Notre-Seigneur Jésus-Christ ; personne ne pourra s’y placer sans risquer
le sort de Moïse qui fut englouti en terre, hormis le meilleur chevalier du
monde qui conquerra le Saint-Graal et en connaîtra le sens et la vérité [282] ».
C’est donc le Siège Périlleux sur lequel ne devra s’asseoir que celui qui sera
l’Élu. Dans le Didot-Perceval , qui marque le
début de la Christianisation du mythe, Perceval s’y assoit :
« Aussitôt, la pierre se fendit sous lui et cria d’un ton si angoissé
qu’il sembla à tous que le monde allait basculer dans l’abîme. Et après le cri
que poussa la terre, il y eut de si grandes ténèbres qu’ils ne purent se voir
de plus d’une lieue [283] ». Le texte est
très clair : comme la Lia Fail qui crie
sous le roi choisi (par les dieux ou par la déesse Terre), le Siège Périlleux
crie pour indiquer que Perceval est le Roi du Graal. Mais l’auteur du Didot-Perceval (probablement Robert de Boron), dans
son souci de christianiser le mythe, ajoute qu’une voix se fait entendre,
reprochant à Arthur d’avoir permis ce sacrilège, car Perceval est indigne
d’occuper le Siège. En s’y asseyant, il vient de causer la maladie du
Roi-Pêcheur. Et le Roi-Pêcheur ne sera guéri que par celui qui accomplira les
aventures du Graal : alors la pierre se ressoudera. Le caractère de
Perceval était trop païen pour qu’on en fasse le Héros du Graal : il
fallait préparer l’entrée de Galaad le Pur, non suspect (en apparence) de
traditions celtiques. C’est ainsi que l’auteur de la Quête
du Saint-Graal , version complètement christianisée du mythe, fait
asseoir Galaad sur le Siège Périlleux sans que rien ne se produise. La Lia Fail a été dépouillée de son contexte païen qui
pouvait inquiéter à juste titre un fervent chrétien du XIII e siècle car, comme le fait remarquer Georges
Dumézil [284] , lorsque la Pierre de
Souveraineté crie, c’est en fait la terre, considérée comme une divinité, comme
une déesse-mère , qui manifeste son
approbation, son choix. Et cette remarque revêt une importance
particulière : nous sommes, avec la légende du Graal, même si cette
légende a été transformée et récupérée par le Christianisme, en présence d’un
mythe très ancien rattaché au culte de la Déesse Primitive.
Nous avons dit qu’il s’agissait de retrouver l’archétype épique de la Quête du Graal. Il est là, dans
l’histoire de Mesgegra et la Pierre de Souveraineté. La Quête du Graal, c’est une lutte sanglante entre les membres d’une
communauté pour s’approprier la souveraineté , cette souveraineté étant
la Femme, la reine ou la déesse, image symbolique de la Mère toute-puissante de
qui nous sommes tous les fils. Si Mesgegra perd la vie
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