La Femme Celte
rêves
d’enfance, car en définitive, c’est le monde de l’enfance, ou de la vie
intra-utérine que veulent réactualiser les amants. Et c’est pourquoi, après
chaque orgasme, Tristan et Yseult renaissent ,
et recommencent. Mais que ferait Tristan sans Yseult ? Ou plutôt
qu’aurait-il fait si Yseult n’avait pas été là pour lui montrer les choses diablement intéressantes qu’il y avait au
fond du philtre ?
Car toute vie prend naissance sur la mort et inversement. Si
le grain ne meurt, il ne peut renaître. C’est dans la femme que se produit
cette renaissance, qui est à la fois psychologique et biologique. Les concepts
que nous avons vus au sujet de la femme répugnante et monstrueuse, ou plutôt de
la femme présentée comme telle, ne sont que les symboles de cette
réalité : nous naissons du fumier, que cette naissance soit réelle ou
fantasmatique. Mais, compte tenu de ce qu’on lui a dit, le héros de l’aventure
hésite à s’engager plus avant. C’est ainsi que Tristan ne veut pas d’abord
aimer Yseult, que Diarmaid ne veut pas suivre Grainné, que Noisé cherche à
s’écarter de Deirdré. Ils ont peur, ils ont cette peur que la société leur a
inculquée vis-à-vis de la femme, être étrange et mystérieux, dispensatrice de
vie et de mort, fumier vivant qui nourrit de
son sang et de son lait l’enfant qu’elle porte en elle et qui n’est que la
projection de l’homme lui-même. D’où l’image de Keridwen, la sorcière qui se
nourrit de son amant pour donner naissance à son enfant. Mais Taliesin n’est
que la renaissance de Gwyon Bach. Et Keridwen se présente comme redoutable,
tyrannique : elle est la Maîtresse qui domine. Il est normal qu’on en ait
peur et qu’on la fuie. Mais pourquoi est-elle la Maîtresse ?
LA MAÎTRESSE DU VERGER
Quand Peredur, à peine sorti de l’univers maternel, a
franchi le pont qui est la frontière typique entre ce qu’il était et ce qu’il
commence à être, la première personne qu’il rencontre est une pucelle, sous une
tente, au milieu d’un verger. Il lui dérobe un baiser, un pâté et un anneau.
Mais le vol qu’il commet le lie définitivement à la pucelle, et par là à toutes
les femmes qui vont le guider au cours de son étrange quête. Le baiser
représente l’aspect sentimental, affectif, psychologique de son périple :
il promettra son amour à toutes les femmes qu’il rencontrera, et toutes ces
femmes ne seront que les aspects temporaires d’une même déesse, l’Impératrice.
Le pâté qu’il mange goulûment représente la nourriture que la Femme lui donne
et qu’elle lui donnera encore, car, même sevré, privé du lait maternel, l’homme
tient sa nourriture de la femme. C’est l’aspect naturel, matériel, animal de la
pérégrination. Quant à l’anneau, c’est la préfiguration de celui que lui
donnera l’Impératrice, c’est le geis qui
engage maintenant tout son destin. C’est l’aspect magique, surnaturel,
métaphysique de la Quête. Et c’est la Maîtresse du Verger qui en est la cause
primordiale.
Quand Owein pénètre dans le verger pour subir l’épreuve
qu’on appelle « la Joie de la Cour », la première chose qu’il voit
est une pucelle, au milieu du verger. Et c’est à cause d’elle qu’existe le
sortilège qui pèse sur le pays. La Maîtresse du Verger étend sa domination sur
l’Univers entier, parce que le Verger est un univers en réduction, un
microcosme. La Maîtresse du Verger est l’image poétique de la Déesse-Mère,
celle qui tient entre ses mains la vie et la mort. Elle se tient près d’un
arbre, un pommier, qui est l’axe du monde, autour duquel s’organise la vie. On
pense au Jardin des Hespérides, au paradis de la Genèse .
Quand Jaufré pénètre dans le château de Monbrun, il s’endort
dans un verger merveilleux où chantent des oiseaux cachés dans les branches des
arbres. Et quand il se réveille, c’est le visage de Brunissen qu’il voit,
penché sur lui, Brunissen, la déesse brune, qui tombe amoureuse de lui et qui
le lie par une sorte de geis . Car Brunissen,
affligée par un deuil, se lamente d’être abandonnée, elle attend le fils-amant
qu’elle métamorphosera par son amour et avec qui elle régnera sur un univers
enfin réconcilié, où le bien et le mal n’existeront plus, réalisant ainsi la
situation d’avant le péché originel.
Quand une femme de la Terre des Fées vient trouver Brân,
fils de Fébal, pour lui vanter
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