La Femme Celte
les beautés de son pays et l’engager à y venir,
elle lui précise qu’il y a là-bas « un vieil arbre avec des fleurs, sur
lequel les oiseaux chantent les heures ». Et Mananann mac Lîr, pour
encourager Brân à continuer son voyage, ajoute qu’il s’y trouve « un bois
avec des fleurs et des fruits, sur lequel sont des feuilles de couleur d’or ».
Et ce bois est dans l’île d’Émain, la Terre des Femmes.
Quand Cûchulainn est invité par la fée Fand à venir la rejoindre
dans la Terre de Promesse, il envoie son cocher Loeg en éclaireur, et celui-ci
lui raconte ce qu’il a vu : « À la porte de l’est, il y a trois
arbres de claire pourpre, d’où chantent des oiseaux longuement, doucement… Il y
a un arbre à la porte du château, arbre d’argent où brille le soleil ; sa
splendeur est pareille à l’or… Il y a là trois vingtaines d’arbres, leur sommet
se touche, ne se touche pas ; trois cents hommes se nourrissent de chaque
arbre, de leur fruit multiple et simple… Il y a une fille dans la maison noble,
qui se distingue des femmes d’Irlande ; elle est jolie, elle est habile,
avec une chevelure qui flotte… Elle blesse le cœur de tout homme, par son amour
et son affection [459] ».
Quand Conn aux Cent batailles quitte l’Irlande à bord d’un
petit coracle , au gré des flots, il aborde
dans une île merveilleuse. « L’île avait de beaux pommiers, de nombreuses
belles fontaines d’où coulait le vin, une forêt remplie de grappes brillantes,
des noisetiers autour des fontaines avec des noix magnifiques, jaunes d’or,
avec des petites abeilles qui bourdonnaient harmonieusement sur les fruits
dégoulinants de sucs parfumés [460] ». Et. Conn est
reçu par une reine qui possède une « chambre de cristal » où le
soleil brille à profusion dans une atmosphère douce et limpide.
Quand Viviane demande à Merlin de lui enseigner comment on
peut endormir un homme, tous deux se trouvent dans un verger magnifique appelé
« Repaire de Liesse ». Et c’est là que Merlin dévoile le secret par
lequel, un peu plus tard il se trouvera prisonnier de Viviane, et qu’il lui
révèle aussi trois mots magiques qui permettent à une femme d’empêcher un homme
de la posséder charnellement si elle s’y oppose.
Quand Tristan veut rejoindre Yseult sans que personne ne
s’en aperçoive, il jette des copeaux dans un ruisseau qui avertissent la reine.
Alors elle quitte la chambre de son mari, le roi Mark, et vient dans un verger
clos où son amant l’attend, en dehors du monde, dans un univers où Yseult est
la seule reine toute-puissante, la chevelure comparable aux rayons du soleil
dans une nuit pourtant complice.
Et l’on pourrait multiplier les exemples de cette sorte.
Tout se passe comme si, dans un lieu hors de la terre, régnait une femme dont
les caractéristiques sont la beauté , la lumière et l’ autorité .
Elle est la Maîtresse, volontiers tyrannique, toujours obéie, jamais repoussée.
À ses pieds se trouve l’Amant qui « se recrée aux rayons de ses
yeux ».
Ce qu’il est important de constater, c’est le caractère
solaire de la Dame du Verger, quelle qu’elle soit. Nous ne sommes évidemment
plus à l’époque où, à cause de l’école de Max Muller, il était de bon ton de
découvrir partout des héros solaires et de considérer la mythologie comme le
jeu de cache-cache du soleil et des planètes, ce qui de toute façon
n’expliquait rien. Mais il n’empêche que le soleil est inséparable de la
Maîtresse du Verger.
D’abord Yseult nous est présentée avec une chevelure blonde
comme l’or, donc comme le Soleil. Grainné a un nom qui vient de l’irlandais grein , ce qui signifie soleil. La Reine de l’Île des
Fées habite un palais de cristal, ou bien possède une chambre de cristal, ou
une chambre de verre dans laquelle convergent tous les rayons du soleil.
Lorsqu’on aborde dans l’île, on est frappé par la lumière qui semble surgir du
paysage. On comprend alors que le Verger, qui se trouve sur l’Île des Pommiers
( Insula Pomorum ), est une sorte de temple
solaire, le lieu où réside le Soleil lui-même.
Ensuite, le soleil est féminin dans les langues celtiques et
germaniques, ce qui nous indique la permanence d’une divinité solaire féminine
antérieure à l’image que nous nous faisons du dieu-soleil Apollon. Le fait
n’est d’ailleurs pas spécial aux traditions celtique ou germanique, car on
rencontre
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