La fête écarlate
remonta. Le cœur. Ça y était : un coup puissant, définitif. Instant de volupté que de plonger l’acier dans cette chair détestable.
– Qui… comment as-tu…
Ployé de douleur, Leignes tomba à genoux, s’affala et ne bougea plus.
Ogier rampa, dépouilla le corps de son manteau, déboucla la ceinture d’armes. « Pour Calveley. » Il s’inquiéta. Pas de clés. Puis, il sourit : il s’affolait bêtement : elles étaient demeurées sur la porte. Il ramassa le chaperon et s’en coiffa. Il frémissait d’une impatience terrible ; pire que sa malefaim, elle lui tordait l’estomac. La soif, en revanche, lui était passée.
– Voilà.
Avançant doucement sur le ventre, il venait de retrouver l’étui de sa lame. « Oh ! Seigneur, est-ce Vous qui m’avez aidé ? » Il se leva en s’accrochant à la paroi, baisa le crucifix reconstitué ; cracha la pierrette qu’il suçait depuis si longtemps et voulut avancer.
– Hoooh !… Tant pis : il faut que je sorte !
Il sanglotait de douleur. « S’ils te prennent, ils te réduiront en pièces ! » Il arracha la clé de la serrure et fit tinter les autres, fixées au même clavier. Il devait avancer ; il l’osa en évitant de regarder sa jambe. Et joie : la corde à laquelle il avait pensé pendait au bord de la roue. Quinze ou vingt aunes, peut-être. C’était trop peu…
Clopinant, gémissant, il parvint devant la geôle de Calveley.
– Messire, dit-il en toquant la porte, je viens vous délivrer.
La première clé obéit à sa poussée ; les verrous, ensuite, glissèrent dans leurs verterelles. L’Anglais apparut, hâve et piteux :
– Vous avez occis le geôlier ?
– Avec ça… Hé oui !… Aimez-vous autant que moi la liberté ?
– Certes. Mais comment sortir de ce trou ?
Si peu qu’il pût distinguer son visage dans cette pénombre où, à force de se nourrir d’air malsain, les flammes de la torche devenaient d’une bleuité douceâtre, inquiétante – « Il nous faut nous hâter ! » – Ogier vit les traits de Calveley se détendre sous un jaillissement de joie d’ailleurs bref :
– Avez-vous songé à la manière de quitter ces murs ?
– J’ai surtout pensé que Dieu m’aiderait dans la juste cause qui est mienne, et qu’une fois en haut, si j’y parvenais, Il me mènerait au salut… Tenez : ceignez-vous de cette ceinture ; elle appartient à ce malandrin ; cette dague à rognons me semble bonne…
– En effet… Il y a du sang dessus.
– Il se peut… Prenez cette chevestre (212) , sur la roue, et passez-la-moi autour du cou et sous ce bras… Bien… Elle vous était destinée, mais Blainville, dont nous reparlerons et que vous connaissez sans doute, a interdit qu’on vous fît le moindre mal… Pendant que je reste adossé à cette muraille, allez ouvrir les geôles voisines… Qui sait ?… Plus nous serons, mieux cela vaudra !… Hâtez-vous !
Calveley déverrouilla une porte, pénétra dans l’ergastule, y demeura un instant et s’en retira lentement, à reculons. Ogier le vit se signer. Ensuite, l’Anglais poussa le battant de la quatrième cellule, entra plus promptement que dans la précédente et sortit comme effrayé.
– Alors ?
– Il y a un moine et il est mourant.
– Mourant !
Le visage de Calveley s’était tiré ; les feux dansants, si peu clairs qu’ils fussent, en accusaient la lividité :
– Il se meurt de frayeur… On. Ensuite, ils n’ont dû cesser de le menacer… Non, n’y allez pas ; épargnez-vous des tourments : vous allez devoir demander beaucoup à votre jambe et à votre courage…
– Et dans l’autre geôle ?
–… une fille en robe blanche… retroussée jusqu’au ventre…
Ogier grogna. C’était bien ce qu’il avait deviné. Le cri, le cri désespéré. Ce meurtre, Blainville avait dû l’exiger…
– Un coup au cœur. J’avais cru ouïr un hurlement de femme. Pauvrette !… C’est le huron qui a fait ça ? Celui dont vous portez les peaux de bêtes…
– Oui.
Leignes s’était sûrement pourléché : en se conformant à l’injonction de Blainville – « Tue cette traîtresse » –, il avait non seulement assouvi sa jalousie envers ce nouveau maître ; il s’était également revanché des humiliations qu’Isabelle lui avait infligées. « Un chien », disait-elle. Certes : un chien revenu à un état de férocité tel qu’un loup, devant lui, eût pris peur.
– Ce
Weitere Kostenlose Bücher