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La fête écarlate

La fête écarlate

Titel: La fête écarlate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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sa torche dans un anneau ; il s’asseyait sur la roue, tirait quelque chose de son pourpoint et se mettait à aiguiser… un couteau.
    – Dis-moi quelque chose, Ogier… As-tu mal ? Ce Guichard d’Oyré est une ordure !
    Brusquement, ayant fait un pas, Isabelle s’agenouilla, étreignit le blessé d’un bras, comme une proie, mangea ses lèvres sèches et ses joues sales, écrasa sous sa bouche fraîche, son oreille blessée. Il semblait qu’elle voulût jouir de lui sans attendre.
    – Lâchez-moi !… Vous me faites mal !
    – Holà ! maugréa Leignes en écho. Isabelle, mon cœur, si vous recommencez, je vais vous fesser sur cette roue sans qu’il puisse s’y opposer. Il y a même un rouleau de corde d’au moins quinze aunes pour vous y lier !
    Il rit. Ogier se dit qu’au lieu d’avoir affaire à une démone, il était en compagnie de deux forcenés.
    – Oh ! toi, dévergondé… grommela Isabelle.
    Elle s’était à demi relevée. Elle demeura ainsi, son flambeau très haut dans sa dextre, sa paume senestre appuyée sur son genou.
    – Nous nous sommes vus il y a six ans, Ogier. Juste avant que tu n’ailles rejoindre ton père et ses compagnons.
    – Six ans ?… Qui êtes-vous ?
    – Ne te souviens-tu plus de la cour de la Broye ?
    Bon sang ! Ce nom sur lequel sa mémoire hésitait…
    –  Dary  !… C’est bien ça ?… J’ai cherché…
    De surprise, il bégayait.
    – Je ne trouvais plus où j’avais pu ouïr ce nom-là… Oh ! oui, je me souviens…
    Comme les événements s’agençaient ! Six ans et se retrouver ainsi, lui victime d’elle ! Six ans… « Il est vrai que le royaume est petit. » Cette observation lui parut insuffisante. Il devait y avoir autre chose. Il soupira tandis qu’Isabelle se redressait :
    – Ce matin-là, je t’ai aimé, je crois bien. Tu étais beau… Tu pleurais sur le sort de ton père et j’aurais voulu te consoler…
    Ogier sentit son cœur se gonfler, nullement à cause de l’émoi plaintif de cette fille, mais parce que chaque fois qu’il évoquait ces douloureux moments, il y trouvait des raisons d’espérer. Jusqu’à ce singulier tête-à-tête, il avait cru n’avoir rien oublié de la dégradation de son père ; il s’apercevait tout à coup que si les années en avaient amoindri ou pâli certains détails, elles avaient sourdement effacé le souvenir le plus doux qu’il en eût pu conserver : une fillette sautillant à cloche-pied sur une marelle, à l’ombre d’un donjon. Il pleurait, ce matin-là, de désespoir, de honte et de fureur ; il avait été sensible à la pitié, et même à la tendresse d’une enfant heureuse.
    Isabelle parlait ; il l’entendait à peine, revivant le déchirant épilogue d’un cérémonial dont l’atrocité lui serrait à nouveau les entrailles : son père, en chemise, titubant et sanglant, atteint dans son honneur autant que dans sa chair, et lui, Ogier, en larmes…
    « Je me suis juré d’occire tous ceux qui nous avaient fait du mal. Où en suis-je ? J’ai saigné Ramonnet et me voilà captif, gisant et gémissant dans un trou de rocher ! »
    Il s’étonna – Était-ce une omission involontaire ou une sagesse presque inconcevable de sa part ? – qu’Isabelle se fût abstenue de prononcer son nom véritable.
    – Tu m’as donné un baiser, le premier que j’aie reçu de bon cœur… Et puis tu es parti… et te voilà !… Pourquoi m’as-tu caché à moi qui tu étais ? Tu n’en serais pas là !… Tu vois, j’ai bien meilleure mémoire que toi !
    Ogier se contenta d’un grognement.
    – Je n’avais rien oublié, moi… Une destitution pareille, c’est rare… Tu m’avais attendrie, ce matin-là !
    Isabelle insistait, passait brusquement du reproche à la douceur. Elle s’interrompit car Leignes, lent et sûr de lui, s’approchait :
    – En as-tu pour longtemps ?
    Le chien couchant devenait hargneux.
    – Retourne d’où tu viens… J’en ai terminé !
    Le sergent s’éloigna.
    Ogier regarda sa jambe rompue. Les linges en étaient gris, sanieux et infects. En quel état, dessous, pouvait être la chair ?
    « C’est étrange », se dit-il, « cette fille semble accrochée au destin de Blainville. »
    Il demanda :
    – Pourquoi étiez-vous à la Broye ?
    – Tu ne t’en souviens plus !
    Elle délirait. Comment, l’ayant oubliée, eût-il pu se souvenir de la raison de sa présence entre ces murailles

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