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La fête écarlate

La fête écarlate

Titel: La fête écarlate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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aussi… Marcher me fera du bien…
    Après avoir reçu son mandement d’un messager de Jean l’Aveugle à Fribourg, le Moyne de Bâle avait chevauché par Morat, Besançon et Dijon. Son roncin, souffrant de coliques, l’avait retardé sur la route d’Auxerre.
    Les affaires du royaume de France laissaient ce chevalier assez indifférent mais, puisque son suzerain l’appelait à guerroyer, il serait de cette guerre que Philippe, il n’en démordait pas, commençait mal : plutôt que de poursuivre le gibier, il préférait, lui, attendre qu’il passât à portée d’arc ou d’arbalète…
    Silencieux et méfiants, les deux compagnons avancèrent. Parfois, la lune perçait l’amoncellement des nuages et les ombreuses frondaisons du bord de Seine. Le temps lourd, moite, charroyait des orages. Il avait plu en cours d’après-midi ; le ciel avait grondé sans lancer un éclair.
    – Holà ! ils sont venus, dit Ogier.
    À peine plus obscur que l’ombre qui le cernait, le village apparut, ou du moins ce qu’il en restait : des ruines cendreuses dont l’humidité avivait l’odeur ; des chicots de murs et des moignons de poutres.
    – Les Goddons !… Les culs-verts de ce hameau ne s’en sont pas gardés…
    – Hélas ! oui, dit Ogier. Voyez.
    Une vingtaine de corps pendaient aux branches d’un grand orme : hommes et enfants mâles. Nus. Trois chiens allongés près du tronc se levèrent.
    – Rien n’est plus fidèle que ces animaux-là, Bâle… Ils ont faim.
    Ogier puisa un morceau de pain dans le bissac suspendu à sa selle.
    – Leurs maîtres se balancent… Que croient-ils ? Qu’ils vont ressusciter ?
    Il rompit le pain, le jeta aux chiens puis leva les yeux sur les branches. Bien que familier des atrocités de la guerre, une puissante horreur le saisit :
    – Regardez ces martyrs, dit-il à son compagnon immobile. Il leur manque un bras, une jambe… Et celui-ci auquel on a écorché le dos… Et cet autre, émasculé… cet enfant, le ventre ouvert… Celui-ci a eu les pieds plongés dans des braises… Ah ! misère… Seule l’église paraît avoir tenu bon, bien qu’ils aient ardré (241) le clocher !
    Ayant abandonné le Blanchet, paisible, il s’approcha du saint lieu en se disant qu’il voyait devant lui un asile inviolable ; cependant, avec de tels bourreaux et puisque le clocher avait souffert… Il imagina les femmes affolées, transies d’horreur ; les fillettes hurlantes… Soit qu’elles s’étaient réfugiées là, soit qu’on les y avait poussées… La suite, hélas, se concevait…
    Il tira son épée en s’enfonçant sous la voûte d’ogives, prêta l’oreille et n’entendit rien. Alors, la lame en avant, il entra.
    La fine lumière coulant des vitraux révélait les bancs, le lutrin et les fonts de grosse pierre brune. Tout semblait en place mais l’odeur stagnant ici étouffait celle de l’encens. C’était une puanteur précise.
    – Ça pue la mort, dit le Moyne de Bâle.
    Heurtant parfois des bouts de bois, des candélabres, des débris de statues mutilées, ils avancèrent jusqu’à l’autel rompu, déplacé, couvert de linges souillés.
    – Du sang, dit Ogier. Voyez : ils ont dû monter là-dessus toutes les femmes…
    –… les étriper quand elles n’en pouvaient plus…
    Ogier imagina les hommes assis sur les bancs, attendant leur tour, et les malheureuses maintenues par de robustes compères tandis que certains des leurs assouvissaient leur malefaim de chair…
    Le Moyne de Bâle s’éloigna vers l’abside et poussa un oh ! d’effroi avant d’en atteindre le fond. Il revint, la tête basse et les mains jointes à plat.
    – C’est plein de corps… femmes et enfants…
    L’impuissance et l’indignation d’Ogier éclatèrent dans une lamentation que les voûtes répercutèrent :
    – Et Harcourt tolère ça !… Et Harcourt est complice de ces monstres !… Est-il satisfait ? Se réjouit-il ?… Est-ce cela leur guerre ?… Ils ont forniqué dans une église et ils ont… Oui, le Moyne, voyez : ils ont décollé le Christ sur sa croix !
    Si un Robert Knolles était capable d’ordonner de pareilles horreurs, Calveley eût-il pu seulement y assister ? N’aurait-il pas eu honte d’être Anglais ? Se détournant, Ogier vit la face de son compagnon ravagée de haine :
    – Ce grand treu (242) remonte à quand, selon vous ?
    – Je ne saurais le dire.
    Un silence les sépara pendant lequel ils suivirent

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