La fête écarlate

trouver sur sa route, qui avait presque tout deviné à Chauvigny et qui s’était évadé d’Angle après avoir occis Leignes continuait à l’angoisser.
    Alençon poussa un gros soupir. « Que fais-je là ? » se demandait-il sans doute. Il n’était pas le seul. Il considérait son aîné bien en face. L’aimait-il ? Rien n’était moins certain. Peut-être s’imaginait-il, parfois, coiffant la couronne de France et réhabilitant le royaume que son frère, comme à plaisir, réduisait peu à peu en charpie.
    – Je t’avais dit, Philippe, d’être mesuré… Aux miens, tu préférais les conseils de Blainville…
    – Qu’allez-vous insinuer, Alençon ?
    Blanc comme une nappe, le Normand se rebiffait. Tous les regards posés sur lui, les uns réprobateurs, les autres étonnés ou réjouis, mettaient à vif ses nerfs pourtant solides. Son irrévérence à l’égard du comte Charles en disait long sur sa confusion et sa véritable nature. Il eût suffi peut-être d’un silence pour désarçonner cet homme aux abois et fournir à son entourage, et particulièrement au roi, des doutes sur sa loyauté. Mais Alençon, trop vif et trop amer s’empressa de combler ce vide si providentiel. Dans la brumeuse vesprée, entre les maisons et une petite église au seuil desquelles se pressaient des manants inquiets, sa voix s’éleva, presque triomphante :
    – Je n’insinue rien, Blainville. Je remarque que mon aîné, à vous ouïr plus qu’aucun autre, chemin pour atteindre au plus tôt ces démons serait folie !
    – Courons-leur sus, mon frère ! Au contraire, courons-leur sus, te dis-je !
    Le roi s’excitait. Battant des paupières comme s’ils l’éblouissaient de leurs armures, hauberts et bannières, il considérait avec une espèce de tendresse et de magnanimité ses grands et petits vassaux prêts à le suivre n’importe où, et en retrait, immobile, la masse confuse des piétons d’où, comme un brouillard, montait la buée de milliers et milliers d’haleines.
    – Nous sommes cent mille ! Nous vaincrons : c’est moi, Philippe, qui l’affirme. Je compte dans mon ost le roi Jean de Bohême…
    « Où est-il ? Est-il si valeureux qu’on le dit ? » se demanda Ogier. « Lui, au moins, nous suivra aveuglément ! »
    –… et avec lui et ses Bohêgnons, qui sont moult vaillants – hein, le Moyne de Bâle ? – vous verrez que nous couperons ces maudits enragés en tranches !
    « Des mots », songea Ogier après avoir échangé un clin d’œil avec Bâle. « Et le voilà comptant sur l’appui d’un homme dont la cécité n’est pas la seule infirmité… Aveugle toi-même, idiot couronné ! Ne vois-tu pas que tes piétons se traînent ? Et que Blainville se réjouit ? Est-ce un ost de perclus que tu veux amener devant celui d’Édouard – à condition qu’il t’ait attendu, ce dont je doute ! »
    Alençon toussota et prit une décision sage :
    – Il faut rassembler tous les chariots que nous trouverons et mettre dedans les pavois et les armes… Ainsi, nos piétons avanceront bien mieux…
    Le roi fut tenté d’émettre une objection, mais il s’était ressaisi : il voyait Édouard devant lui. Il allait l’atteindre et l’estoquer.
    – En avant ! hurla-t-il.
     
    *
     
    Quelques moments après avoir décidé de pourchasser l’envahisseur, Philippe VI s’apaisa, jura par saint Denis qu’il anéantirait tôt ou tard l’adversaire et décida de rebrousser sans pour autant se diriger vers Paris. Les admonestations de son frère, qui le serrait de près tandis que Blainville, sur son lourd Melkart, reculait parmi les chevaliers de médiocre importance, avaient refroidi l’esprit enfiévré du Valois et dissipé peut-être les grands rêves enluminés dont il s’était enivré depuis le débarquement de la Hogue-Saint-Vaast. Il devait convenir qu’au lieu d’être apparenté aux preux de ses lectures, subtils et clairvoyants, il n’était rien d’autre qu’un souverain dupé, outragé, faillible en raison même de son entêtement à n’écouter que lui-même et Blainville.
    – Nous devrions coucher ici, dit Alençon.
    – Je conçois, mon frère, qu’il te faille repos et quiétude, mais moi, j’avance !
    – Jusqu’où, Philippe ?
    – Je ne sais… Jusqu’au Palais peut-être…
    Oubliant qu’il avait fait brancher deux archers désireux d’aller embrasser leur famille sans presque abandonner les rangs de la piétaille,