La fête écarlate
connaissance. Édouard est seul et détesté… Et même s’il savait comment passer la Somme, Godemar ferait ce qu’il faut pour le rejeter vers nous !
– Et vous, Richard, qu’en dites-vous ?
– Je suis, sire, de l’avis de votre frère. Si la Somme est guéable en cette Blanche-Tache, le roi d’Angleterre ne peut en avoir connaissance.
Ogier et Thierry échangèrent un regard, et soudain le roi tonna en remuant dans sa cathèdre :
– Ho vous, Fenouillet !… Pourquoi faites-vous cette tête ?
L’interpellé demeura indécis : son destin dépendait de l’humeur de cet homme. À force de l’observer et de l’entendre, il n’ignorait plus rien de ce qui pouvait lui déplaire, notamment des intempérances d’opinion dont Philippe VI s’irritait toujours.
– Sire, dit-il avec une componction pénible, il me semble que votre bon du Fay est insuffisamment pourvu en hommes. Si Édouard savait, car ses espies sont partout…
Il s’arrêta volontairement mais n’osa regarder Blainville.
– Si Édouard savait et décidait de passer en force…
Un ricanement, voilà ce qu’il provoquait. Penché en avant, le roi riait et tapait de ses poings sur les accoudoirs de son siège. Comment lui dire que sa présomption devenait, sans qu’il s’en doutât, sa pire ennemie ?
– Godemar est capable des plus grandes vaillantises. Je le connais bien. Si toutefois vous en doutiez, allez donc le retrouver et revenez me dire où il en est !
Ogier s’inclina, mais debout, Alençon protesta :
– Fenouillet est avec moi !… Il me doit obéissance !
« Il a peur », se dit Ogier. « Moins des Anglais que des gens qui l’entourent… Blainville, Vertaing, d’autres peut-être… »
– Sangdieu ! s’exclama Jean de Hainaut en s’adressant à la Chevalerie tout entière, nous sommes là, certains encore attablés, pendant qu’on se bat peut-être sur cette rive de Somme !… Partons, trouvons ces démons et finissons-en avec eux !
– Encerclons-les ! dit le duc de Lorraine en se saisissant d’un reste de volaille qu’il frotta du bout des doigts pour en disperser les mouches.
– Le gros des Goddons, Gauric vous l’a dit, est entre Abbeville et Saint-Valery, ajouta le sire de Montsault. D’une part la Somme, de l’autre la mer : ils sont pris comme des poissons dans une nasse !
– Hé oui, approuva Philippe VI. C’est pourquoi nous pouvons dormir ici, et même y demeurer jusqu’à demain soir afin que nos hommes, tous nos hommes, nous aient rejoints. Je vais envoyer un chevaucheur à Amiens… Ils accourront… D’ici là, les piétons qui sont avec nous se reposeront un tantinet…
C’était, depuis Rouen, la première fois qu’il y pensait.
– Reste, Gauric, ajouta-t-il, car le jour va tomber. Fenouillet, veillez cette nuit sur mon frère. Qui sait ? Les Goddons pourraient revenir à Airaines afin d’y achever leur banquet !
Le roi riait tourné vers Blainville afin d’obtenir son approbation. Aucun doute : son favori se délectait, mais pour une raison différente.
Quittant le conseil avec Thierry et quelques autres, Ogier s’étonna de la soudaine absence du Moyne de Bâle. Un Bohémien, Henri de Klingenberg, l’informa qu’il était parti pour Amiens rendre compte à Jean l’Aveugle de tout ce qu’il avait entendu.
– Nous sommes de moins en moins quiets, ajouta ce chevalier de trente ans, blond, austère. Voilà une guerre que votre roi conduit joliment mal !
Le lendemain soir, après une journée consacrée au regroupement des chevaliers et des piétons venus d’Amiens, les uns au trot, les autres à pas traînants, Ogier qui, pour passer le temps, jouait aux osselets avec Gauric et Thierry, fut interpellé par Étienne de Vertaing :
– Hâtez-vous, Fenouillet, le comte vous demande.
Il fallut se lever pour, une fois de plus, se sentir enveloppé d’un mépris féroce par le regard de cet orgueilleux au teint pâle et aux traits tirés.
– Que me veut monseigneur Charles ?
Nulle réponse. Ogier ne s’en offensa pas.
Il trouva le comte au lit – un lit de vilains dans une chambre assez sale, mais dont cet homme surprenant s’accommodait fort bien.
– Ah ! Fenouillet… Vous allez cette nuitée partir aux nouvelles avec Gauric et votre écuyer… Costiez la Somme jusqu’à Saint-Valéry… C’est par là que se trouve la Blanche-Tache… Essayez de voir où en sont les Goddons afin que nous sachions où et
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