La fête écarlate
soigneusement devant ; il eût fallu ne perdre aucune miette de temps, or, figé sur son cheval, le protégé de Philippe VI semblait attendre ou espérer un miracle.
– Le temps presse ! insista Ogier. La Somme baisse. Plutôt que de s’enraciner où nous nous trouvons, il convient d’aller vivement empêcher les Goddons d’accéder à cette rive-ci du fleuve !… Pas vrai, messire chevalier ?
Il avait appuyé sur le titre honorable, lui fournissant un sens moqueur afin que les autres n’eussent aucun doute sur la mésestime en laquelle il tenait leur compagnon. Godemar du Fay demeurant immobile et muet, il se fit pressant :
– Messire, hâtez-vous d’aller masser vos archers…
– Je commande ! hurla du Fay. Assez de mots, Fenouillet ! Je n’ai aucun plaisir à vous voir et me demande pourquoi vous avez la faveur d’Alençon !
– Et moi, je suis ébahi que le roi vous ait accordé la sienne. Vos dons de jouteur, en tout cas, ne m’ont pas paru… flamboyants ! Mais bah !… La seule chose que vous ayez à faire, présentement, c’est de maintenir ces malandrins sur l’autre rive… avec l’aide de tous vos hommes… ce qui doit vous conforter !
Cela dit, Ogier donna une ébrillade à son Blanchet et remonta, au trot, vers l’avant de la colonne.
– Gardez-vous, dit-il çà et là aux piétons. L’ost anglais est de l’autre côté de l’eau. Que ceux qui ne l’ont encore fait accrochent leur corde à leur arc !
Un tournant, et dans les champs à peine poudrés de brume, l’armée d’Édouard III apparut : d’immenses masses de fer hérissées d’acier et de bannières, et d’où monta un énorme cri de haine dès que les premiers piétons de France apparurent.
– Ho, les gars ! Que vous prend-il ? s’étonna Ogier en voyant des archers s’immobiliser, comme étourdis, devant cet ennemi dans les rangs duquel, cette fois, des hurlements et des sifflements moqueurs retentissaient.
– Tournez pas ! hurla Thierry. Même si vous êtes du Tournaisis !
Ogier, surpris par l’air hagard de ces hommes, s’indigna que leurs chefs en fussent si loin, tout en se demandant quel visage feraient ceux-ci lorsqu’ils découvriraient, par-delà l’eau miroitante, ce cauchemar bien réel assorti de cette certitude effrayante : trente mille démons auxquels jusqu’ici rien n’avait résisté allaient se jeter vers ce côté français du fleuve dont le niveau baissait insensiblement.
– Leur vue me donne des sueurs, avoua un arbalétrier en repartant de l’avant.
Angoissé, lui aussi, Ogier regarda les batailles adverses parfaitement disposées, prêtes à l’action et confiantes en ces connétables qui les avaient menées sans grand dommage à travers le royaume de Philippe VI. Autant qu’il pût en juger, les compagnies de piétons se composaient de vingt-cinq hommes en profondeur et de douze de front : la largeur du gué. Il n’en pouvait voir les visages sous la coiffe de fer plat, la barbute et le cappelet, mais il les devina sanguins, couenneux, durcis par une malfaisance qui, une fois encore, allait trouver à s’assouvir en cette Blanche-Tache devant laquelle Godemar du Fay parvenait enfin, suivi de ses chevaliers, et constatait :
– Ils sont bien là… Va-t-il falloir se battre à un contre trois ?
– Sans doute à un contre quatre, messire, dit Thierry, si certains de vos gars s’escampent, effrayés… Je ne fais que voir ça depuis Saint-Lô !
Ogier ne s’était même pas détourné. Il regardait toujours l’autre rive, émerveillé par l’immobilité de ces hommes groupés en rectangles de fer réguliers entre lesquels les capitaines galopaient tout en criant des exhortations, heureux, sans doute, d’avoir constaté combien leur présence avait effaré les Franklins. Peut-être s’étonnaient-ils de dénombrer si peu de cavaliers chez l’adversaire et redoutaient-ils quelque vigoureuse embuscade à proximité du fleuve. Dans ces rangs où fleurissaient les bannières aux lis et léopards, des clercs passaient, portant la Croix fixée sur une grande hampe et certains hommes, agenouillés dans la terre molle, avalaient les trois rituels brins d’herbe.
– Ils ne manquent pas d’audace, Thierry. Ils communient après avoir embrasé nos saints lieux !
On entendait, invisibles et lointains, les chiens de la meute royale. Au bord du fleuve, dix chevaliers observaient l’eau mouvante dont la surface s’imprégnait de leurs
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