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La fête écarlate

La fête écarlate

Titel: La fête écarlate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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vagues de chair et de fer. Une lieue de mêlées âpres et indécises, les unes épaisses, les autres clairsemées, d’autant plus farouches qu’on y pouvait mieux s’entre-tuer, et d’où coulait, moussait, pissait, suintait, giclait du sang. Les charges se succédaient, folles et acharnées, et chaque échec, chaque reflux mortel en haut de la colline accroissait la hardiesse de ceux qui s’élançaient en bas. Et le temps passait et s’enténébrait sans qu’on pût avoir conscience de sa durée. Vivre !… Ah ! vivre… Ogier se battait férocement, parfois sans bien savoir contre qui. Chaque coup d’épée donné ou paré amplifiait la puissance et l’horreur du sortilège vrai dans lequel, ivre de meurtre, il s’empêtrait. La réalité de cet enfer devenait si torrentueusement sanglante qu’elle occupait tout son esprit. De moment en moment, saisi d’une frénésie toute neuve, il sentait ses muscles, ses sens, ses facultés se tendre à craquer. Il en hurlait bestialement sous son viaire aux trous occultés de morve et de bave.
    Il s’était déjà battu, pourtant ; il ne comptait plus les actions saisissantes, effrayantes, liées à la guerre. Il croyait même, avant cette mêlée, qu’elles avaient épuisé ses capacités d’étonnement. Mais ça, cet interminable abattoir d’hommes et de chevaux, cette férocité criarde et plaintive, c’était pire que les grandes cuisines du diable décrites par les clercs. Il sentait jusque dans sa chair les soubresauts de ce long dragon agriffé à la colline, cliquetant de toutes ses écailles et dont les convulsions s’accompagnaient de rugissements pires que ceux du vent lors des tempêtes. Il entrevoyait par la vue de son bassinet une sorte de poudroiement de fer et d’ombres dont parfois une averse avivait en rafale le singulier éclat rouge-argent. Et cette foule ne cessait de s’occire. Il devait vivre et occire pour vivre, et vivre pour occire ; il se disait cela furieusement, pour se forcer à demeurer debout sur ses jambes inégalement fortes ; pour se contraindre à croire à ce qu’il voyait, sans jamais s’étonner de demeurer indemne, mais en refusant d’être épouvanté par certaines étreintes incroyables, car parfois, leurs épées s’étant brisées, des adversaires se saisissaient à bras-le-corps et roulaient sur les victimes, tout en se bourrant de coups de poing.
    « J’ai laissé mon écu sur le Blanchet. »
    Qu’il le retrouvât ou non, quelle importance ?
    Quoi qu’il fît, quoi qu’il vît, ses voisins et lui reculaient toujours. Et le roi avec lui frappait d’autant plus ardemment qu’il devait savoir la victoire impossible. Un chevalier de France, le heaume broyé, barbouillé de sang, tourbillonna devant eux et s’abattit. Ce pouvait être Blois, ce pouvait être Auxerre, à moins que c’eût été Lorraine ou Saint-Venant. Qu’importait ! Lui, Ogier, attentif et titubant, continuait à se frayer un passage tout en veillant sur le roi dont le bassinet, au vent d’une lame, se dépluma d’un coup.
    – Sire ! Gardez-vous mieux !
    Il vit une douzaine de chevaliers, acculés contre des ridelles, repousser des piétons innombrables. Il y avait là, sans doute, maints présomptueux d’avant l’assaut ; ceux qui avaient trouvé absurde et déshonorant de contourner la colline ; ceux qui avaient occis du Génois et du piéton de France. Ils allaient mourir.
    « Dieu est juste ! »
    Et comme Ogier se souciait de Blainville, invisible, ils furent – le roi, Thierry et lui – rejetés sur la pente et assaillis par une horde de picquenaires.
    Une charge de chevaliers les dégagea.
    « Il en reste donc ? »
    Une compagnie de Goddons surgit de derrière les roullis. Enjambant çà et là des corps immobiles, ils achevèrent les mourants soit à l’épieu, soit à la hache.
    – Faites retraite, sire ! Il faut relinquir (404)  ! hurla Montmorency.
    – Un cheval pour le roi ! cria Hainaut quelque part. Senseilles ! Senseilles !
    Il devait être mort et son noir coursier aussi.
    Tous les chevaux n’avaient pas succombé. Certains d’entre eux marchaient, boitillaient parmi les trépassés et les agonisants. Avec leurs naseaux frémissants, leur queue fouettante, leurs yeux exorbités, ils semblaient de grands orphelins dans ce vaste champ aux herbes fleuries de rouge. Ogier, le cœur serré par cette détresse animale, crut reconnaître son Blanchet et le roncin de Thierry.
    – Va les

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