La fête écarlate
froncement des sourcils révéla, dans l’esprit du souverain, une contrariété qui parut plonger Montmorency dans l’angoisse.
– Tous ces morts, mes amis !… Avons-nous donc fauté ?
– Oui, sire, murmura Beaujeu, tête basse et comme saisi d’une âcre repentance. Notre empainte (430) fut trop hardie.
C’était tirer des événements une consolation pitoyable.
– Mon pauvre nieps, Louis de Blois, dévié (431) !
« Il ne fera plus pendre d’innocents à Montreuil ou ailleurs », songea Ogier. « Dieu est juste. »
– (432) , le duc de Lorraine est mort aussi, dit Jean de Hainaut. Le comte de Nevers, celui de Dannemarie et son frère, le seigneur de Thouars ; l’archevêque de Nîmes, celui de Sens, le Grand-Prieur de l’Hôpital…
– Cessez, larmoya Philippe VI. Mon cœur saigne…
Toutefois, après qu’il se fut signé, il invita ses compagnons à tirer la table, les bancs et à s’asseoir selon leur gré.
– Assez parlé, dit-il, le temps nous est compté. Faisons honneur à cet agnelet et quittons promptement ces murs.
La vergogne semblait lui ouvrir l’appétit. Il jeta un regard sur la dépouille de Blainville. Sous son grand nez sa bouche sécréta du fiel :
– Il voulait mon trépas. Au moins, contre ce porc j’obtiens une victoire.
Ogier grimaça tant sous l’effet de la douleur qui fermentait dans ses mains que sous le heurt d’une sottise dont ses compagnons, confits dans un respect servile et pour le moins caduc, ne mesuraient pas l’épaisseur.
« De la queue d’un verrat il se fait un plumail ! »
Et dire qu’il lui faudrait servir ce roi sur lequel pesait la malédiction réservée aux usurpateurs.
– Sire, dit Beaujeu, lugubre, vous vous revancherez des Anglais.
« Comment ? » s’interrogea Ogier. « Avec quoi ?… Sa marine détruite à l’Écluse. Son armée anéantie à Crécy… Il ne lui reste que sa couronne. »
Philippe VI devait la sentir branler sur son crâne.
– Que dira Jeanne ? demanda-t-il faiblement à Montmorency.
Ogier n’entendit point la réponse. Cependant, il connaissait le dicton : « Qui laboure avec une mule ne peut avoir de bons sillons. » Et de surcroît, la mule royale clochait.
« Il entassera les déconvenues. Ah ! comme je voudrais qu’il m’oublie. »
Or, le roi le considérait avec une bienveillance qui ne présageait rien de bon pour l’avenir.
– Je me revancherait, et vous, Ardouges… Argouges, m’y aiderez de votre corps et votre hardement !
Il n’y avait qu’à s’incliner.
VIII
– Coutances !… Coutances, enfin !
Tapotant l’encolure du Blanchet, Ogier fut tenté de le lancer au trot, mais son cheval semblait fourbu. D’ailleurs, il ne restait qu’une lieue à couvrir. À quoi bon se hâter après tant de semaines d’absence ? Thierry cessa de siffloter la Bataille de Poissy :
– Vous souvenez-vous, Ogier, de notre passage dans cette rue, quand nous venions de Rechignac ? Nous étions fiers et méfiants… Ce jour d’hui, nous avons la confiance du roi !
– J’ai plaisir à m’en souvenir… Notre arrivée n’était guère différente de celle de maintenant !… Vois, les manants nous regardent assez méchamment, comme des preux arrivant trop tard pour les délivrer de je ne sais quoi !
– Je comprends leur ressentiment envers des guerriers de notre espèce ! Nous sommes des vaincus. Chemin faisant, nous n’avons trouvé que des ruines : Caen détruit, Saint-Lô réduit en cendres…
– Mais Coutances est demeurée la même !
Ayant franchi le pont de Soulle et dépassé l’église Saint-Pierre, les deux compagnons aperçurent la cathédrale.
– Je regrette, Thierry, que ce ne soit ni la sortie de la grand-messe ni celle des vêpres… ni le jour du marché qui se tient là, sur le parvis, car ainsi presque tous les Coutançais auraient pu voir nos bannières et les hommes qui nous suivent…
Thierry se détourna, puis regardant à nouveau droit devant :
– Bazire est le plus fort en goule des gars que nous ramenons avec nous ; vous auriez dû en faire un héraut pour qu’il crie à tous vents que votre père, Godefroy d’Argouges, est lavé de tout reproche…
– À quoi bon !… Il sera temps de revenir ici demain, en grand bobant avec mon père et ma sœur. Et c’est moi qui proclamerai la nouvelle !
Un moment, Ogier écouta le clapotement des sabots ferrés sur les galets de la rue. De l’arrière,
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