La fête écarlate
que Blainville commandait, impatient :
– Montez, vous deux. Je vous suis… Que veux-tu dire à ce garçon, Godefroy ?
Dans le silence revenu, la voix du Boiteux retentit comme un défi :
– Richard, tu commences à me courroucer… Mais puisque tu y tiens, sache une dernière fois que ce gars-là me plaît. Je viens le rassurer, lui dire qu’une certaine Radegonde s’est rendue auprès d’Alençon et qu’ensemble ils sont allés chez l’évêque afin qu’il sache que ce chevalier n’est pas plus sorcier que nous. Tu sais mieux que moi qu’Isabelle n’a jamais eu tout à fait ses esprits et que depuis la mort de Jean de Montfort, sa derverie (194) empire… Le trépas de Kergœt a envenimé son état !
– Jamais nous n’aurions dû l’admettre parmi nous.
– Elle y est depuis quatre ans, à ce que tu m’as dit.
– C’est vrai… Contre ma volonté… L’épouse de Montfort l’aimait bien… Que ne l’a-t-elle emmenée en Angleterre !… La traîtrise dont je te parlais ne peut provenir que d’elle.
– Cesse donc ! Tu dis des âneries.
– Elle paraît sage et stable trois semaines par mois… Et puis, quand elle a ses menstres (195) son esprit s’égare… Elle paraît livrée à des forces malignes… tiens, comme la reine Jeanne !… Tout l’offense… La mauvaiseté envenime son sang… Que vas-tu dire à Fenouillet ?
– Tout ce qui peut conforter sa patience… L’évêque a déjà recueilli maints témoignages faisant état de ce que tu me dis à propos d’Isabelle… Je lui annoncerai que, disculpé des accusations qu’elle a portées contre lui, il sera libre vendredi… autrement dit dans deux jours, puisque nous sommes mercredi…
« Mercredi ! » songea Ogier, effaré. « Ai-je perdu si longtemps connaissance ? »
– Sans moi, Godefroy, et si tu ne m’avais rejoint près d’ici, jamais tu n’aurais pu entrer dans ce châtelet !
– Détrompe-toi, Richard. Ma sœur m’a obtenu de l’évêque un sauf-conduit en blanc me permettant d’y pénétrer et d’inciter Oyré à la modération… Veux-tu le voir ?… Non… Qu’as-tu d’autre à me dire ? Allons, parle !
– Plus j’y pense, plus je suis sûr que tout ce que Fenouillet connaît, il l’a appris d’Isabelle, et que c’est par un repentir subit qu’elle a voulu sa perte, afin qu’il ne puisse la dénoncer.
– La peur t’égare !
– Comment ce malvenu a-t-il pu déjouer notre action contre Alençon ? Pourquoi voulait-il galoper jusqu’à Paris, si ce n’est pour prévenir Philippe de ce que nous avons décidé ?… Il faut qu’il parle, sinon…
– La peur t’égare, te dis-je… Garde-toi de toucher à Fenouillet… Attends le jugement de vendredi. Il obtiendra son acquittement sans peine… Je suis sûr que tu as circonvenu quelques juges du tournoi contre lui, car jamais ils n’auraient dû autoriser ce qui s’est passé !
– Qu’est-il donc pour toi ? Tu agirais ainsi pour un fils ou un frère !
– Il ne m’est rien, Richard. Rien… Je me suis merveillé pour lui à la joute. Je veux le savoir heureux… Allons, monte !… Rejoins les autres. Cet entretien sera bref, mais par Dieu, je vais laisser la porte de cette geôle ouverte pour voir si tu ne reviens pas, comme un rat, essayer de capter mes propos !
– Je remonte, mais je t’en préviens : j’abomine ce merdeux, et vendredi, s’il est gracié, je le provoquerai !
– Oyré t’a dit qu’il a une jambe rompue… Allons, va-t’en !
Silence. Un fer couina ; le guichet s’ouvrit, rectangle d’or misérable dans le noir massif de la cellule. La serrure et les verrous bronchèrent et la porte béa sur une forme noire, haute et large. Le flambeau tenu à hauteur d’épaule éblouit Ogier ; quand il put maintenir ses paupières ouvertes, le Boiteux de Saint-Sauveur, la tête rentrée dans les épaules pour ne pas heurter la voûte, le considérait d’un regard attristé :
– Je suis Godefroy d’Harcourt. Me reconnais-tu ?
Ogier se contenta de ciller.
– Sangdieu, Argouges, en quel état je te revois !
Le garçon sursauta si violemment que sa jambe parut à nouveau se briser.
– Messire, gémit-il, de qui tenez-vous que mon nom est Argouges ?
Il se sentait pris au piège comme ce renard qu’il avait évoqué… Quand, déjà ? Si cet homme savait, qui savait aussi ?
– Apaise-toi et parlons bas. Frère Isambert…
– Ce clerc
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