La Fille Du Templier
village ?
— Du calme ! commanda Stéphanie.
Bertrane continua à déchiffrer l’écriture de la reine. On
apprit qu’Edmond de Casteljaloux devait être l’instrument de la vengeance
royale. Eléonore demandait à Bertrane de le garder auprès d’elle jusqu’au jour
où les chevaliers maudits réapparaîtraient en Provence. Bertrane acheva sa
lecture. Elle en était atterrée et elle vit la même consternation chez la
plupart des dames. Quel déshonneur pour Signes !
— D’après ce que nous savons, trois commandeurs ont été
désignés pour une importante mission. Othon d’Aups est l’un d’eux. Il devrait
débarquer à Marseille dans les semaines qui viennent. Jean d’Agnis l’accompagnera.
Nous nous saisirons d’eux avec l’aide de vos troupes, dit Edmond.
— Cette affaire dépasse nos compétences ! se
récria Mabille. Le devoir en incombe au comte Bertrand ou mieux, aux évêques de
Marseille. Le comte peut casser ce qui a été donné par l’adoubement et les
évêques ont le pouvoir de juger au nom du pape. Ce Jean d’Agnis de Signes, quoi
qu’il ait fait, reste chevalier et il est dit qu’un chevalier ne doit jamais
user de son épée pour léser injustement quiconque, mais qu’il s’en serve
toujours pour défendre le Juste et le Droit. S’il ne respecte pas la règle
sacrée de son rang, il appartient à son seigneur et à lui seul de le punir !
Quant au templier, que Dieu nous préserve de nous attaquer à son ordre.
Edmond de Casteljaloux se tourna vers la bouillante Mabille.
La dame d’Yères était rouge de colère. Elle n’admettait pas qu’on se serve de
la cour à des fins de vengeance. On leur imposait ce Casteljaloux chargé de
punir en leur nom. Elle était dame d’honneur, dame d’amour et ne pouvait se
prêter aux caprices d’une femme, fût-elle couronnée, dont on connaissait la
rouerie et les fantaisies. L’image de la reine était sérieusement écornée.
— Dois-je vous rappeler que je suis ici par la volonté
de la reine ? dit Edmond.
Le ton était doucereux, mais toutes sentirent combien il
prenait à cœur cette mission, combien il était investi des pleins pouvoirs de
la couronne.
— Qui refusera ici d’obéir à la première dame de la
chrétienté ?
La voix claqua. Elle était sèche et basse. Au ton, ces
demoiselles surent à quoi s’en tenir. Les dames aussi. Et sous ce ton perçait
la menace.
Delphine parut satisfaite. Elle les avait refroidies. Mabille,
qui la craignait, baissa les yeux quand elle la contempla en fronçant les sourcils.
Restaient Bertrane, Stéphanie et Jausserande que la comtesse de Dye n’impressionnait
guère. Elle s’adressa à elles plus diplomatiquement :
— Mes sœurs, on ne peut rejeter la demande d’Eléonore.
— Qui te dit que nous n’allons pas examiner cette requête ?
répliqua Bertrane. Encore faudrait-il que ces chevaliers reviennent parmi nous.
Nous n’irons pas les arrêter à Marseille. De plus, nous ne connaissons pas ce
Jean. D’Agnis, nous ne voyons que cette crête, poursuivit-elle en pointant son
doigt vers une archère située au nord de la salle. C’est le domaine des
charbonniers et des bergers. Peut-être quelques nobliaux y vécurent-ils en des
temps très reculés, mais il ne s’y trouve point de famille titrée depuis 949, année
qui vit l’indépendance de ce fief avec l’arrivée d’Arlulf I er , illustre
ancêtre de mon époux.
— Nous vérifierons tout ceci au cartulaire de l’abbaye
Saint-Victor, répondit Edmond.
— Comptez sur mon aide ! s’empressa de lancer
Delphine. Si ce chevalier réapparaît, nous saurons le juger selon son rang !
Bertrane s’apprêtait à sermonner la dame de Dye qui
outrepassait ses droits, mais elle se domina. Elle eut un regard foudroyant qui
fit reculer la vieille intrigante. Elle promena ce même regard autour d’elle, et
quelques esprits vacillèrent. Bertrane sentit la pression de la main de
Stéphanie sur son bras. La comtesse des Baux avait l’intention de reprendre la
discussion à son compte afin d’apaiser les tensions. Elle devait faire
comprendre au chevalier d’Aquitaine que la cour n’était pas un lieu d’intrigues,
mais une véritable juridiction dotée de règles. Elle prit la parole, hautaine :
— Nous réglerons le cas Jean d’Agnis-Othon d’Aups-Eléonore
d’Aquitaine, le temps venu, en débat public comme il se doit. Chevalier, il
nous plaît de vous savoir parmi nous, mais vous ne
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