La Fille Du Templier
profusion d’or, les chants
montant vers le chœur des anges et la foule des saints entourant le Seigneur
bienveillant bénissant le couple. Ainsi perdurait et s’enrichissait la légende.
Il arriva un moment où dames et demoiselles trépignèrent d’impatience
face à l’envoyé royal. Pourtant il ne s’était écoulé que quelques battements de
cœur depuis qu’il avait déclaré être l’un des hommes liges de la première dame
d’Occident. Les esprits s’échauffaient, les regards pressaient le chevalier d’en
venir aux faits.
Edmond avait mûrement réfléchi. Les ordres d’Eléonore
étaient clairs. Il devait se faire de Bertrane de Signes une alliée. Cette
dernière gardait son calme. Étrangement, elle ne semblait pas éprouver la même
curiosité que ses sœurs. Elle se contentait d’observer le sire de Casteljaloux.
Il portait une sacoche de cuir à la hanche ; elle le vit desserrer les
sangles. Le parchemin roulé aux cachets de cire apparut entre ses mains. Il le
lui tendit avec respect. En s’en emparant, Bertrane eut un imperceptible
tressaillement des lèvres. L’homme ne lui délivrait pas une missive ordinaire. Elle
se douta que le long parchemin contenait la requête extraordinaire de la plus
turbulente et la plus titrée des femmes de ce monde.
La lettre était officiellement adressée à la cour d’amour de
Signes et aux comtesses Bertrane et Delphine. La reine y aurait ajouté le nom
de Stéphanie des Baux si elle avait su que cette dernière résidait désormais à
Signes. La règle exigeait qu’elle la lise à haute voix. Bertrane demanda au
chevalier et aux dames de la suivre dans la salle du conseil, loin des oreilles
indiscrètes des habitants et des marchands qui s’étaient rassemblés sur l’aire
des Masques.
Chacun s’installa sur les sièges et les banquettes disposées
le long des murs armoriés. Bertrane prit son souffle.
Après un étonnant résumé de la croisade qu’elle qualifiait d’échec
cuisant pour la chrétienté, Eléonore parlait d’elle et de ses erreurs :
« … Qu’avais-je en tête en prenant part à cette expédition, sinon de
garantir le droit à chacun de prier en toute sérénité en Terre sainte, le droit
d’anéantir cette peste qu’est l’islam ? Avais-je encore seulement quelque
chose à y accomplir quand je compris, et bien avant la défaite d’Alep, que la
rapacité et la jalousie de nos seigneurs allaient à l’encontre de nos
espérances ? Tout s’écroulait et mon devoir était de défendre au mieux la
cause du Christ aux côtés du roi. L’Orient qui vit naître et mourir Jésus
allait sombrer dans le chaos. J’avais cette vision en horreur. Tant de vies gaspillées,
tant de foi perdue, l’Église de Jérusalem livrée aux hordes sauvages des Arabes
et des Turcs, le monde appartenant au Malin. Un homme cependant pouvait
redresser la situation, mon oncle Raymond de Poitiers, prince d’Antioche, auprès
de qui je trouvai refuge. Grand amour et grande passion faisaient de lui le
noble et preux chevalier que toute femme est en droit d’espérer et d’aimer. Je
mis tout en œuvre pour unir nos forces aux siennes et, au-delà, fédérer les
fiefs de la Terre sainte et obtenir l’appui de l’empereur de Constantinople. Mais
le roi en prit ombrage. Louis dépêcha deux traîtres infâmes, un chevalier
brigand prêt à se damner pour un peu d’or et un commandeur de l’ordre des
Templiers dont le but inavoué est de s’emparer du royaume de Jérusalem. Ces
hommes honnis me détruisirent en une nuit en m’enlevant à la protection de
Raymond. Dame Bertrane de Signes, il vous appartient de punir ces renégats
après les avoir jugés au sein de votre cour. Ils s’appellent Jean d’Agnis et
Othon d’Aups, et ont appartenu à la maison de votre époux Bertrand avant de se
croiser… »
Un bourdonnement accueillit cette révélation. La surprise
était de taille : un chevalier signois dont on ne se souvenait guère et
Othon, le père d’Aubeline, considéré comme un héros, avaient offensé la reine
de France. Par chance, Aubeline d’Aups et la géante n’étaient pas présentes. On
les savait à Signes la Noire où elles surveillaient les agissements d’Inna et
des sorcières. Il n’était pas possible d’incriminer Othon le templier. On se
posa des questions sur ce Jean d’Agnis. Y avait-il seulement une tour, une
maison forte, une construction en dur sur le Mourre d’Agnis dominant le
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