La Fille Du Templier
descendante de Dardanus et de
Gonter, qu’elles doutèrent de ce qu’elles venaient d’entendre.
— J’ai quelque connaissance dans le maniement des armes,
avança-t-elle. J’ai longtemps pratiqué en Autriche avec mon père et mes frères.
— Une broigne, des chausses rembourrées et des bottes
ne seront pas de trop, répondit Aubeline. Va donc te préparer… Quant à vous, messires
les spectateurs, continua-t-elle en se tournant vers les sergents et les gardes,
je vous prie de moins ricaner dans vos barbes sales, sinon, je me ferai un
plaisir de vous étriller.
— Je vous l’avais dit, susurra du Paumier, ça va mal
finir pour vos côtes et vos crânes.
— Ce ne sont que deux donzelles, rétorqua un sergent à
la stature colossale et à la trogne couturée de cicatrices.
— Mon cher Ventrius, dois-je te rappeler que l’une a
tué la Bête et l’autre mis en fuite le comte de Barcelone en Camargue ?
Ventrius tiqua. Il ne croyait pas ces fadaises. Ces
histoires étaient inventées de toutes pièces pour justifier l’existence de la
cour d’amour.
Alix Gonter de Dardanus mit les pieds dans la boue remuée
par les deux femmes de Meynarguette. Aubeline ne lui laissa pas le temps de se
mettre en garde, elle l’attaqua au poitrail de la pointe ronde de son arme. Alix
en eut le souffle coupé, recula en vacillant et tomba sur son séant, provoquant
l’hilarité des soldats.
La fille du templier se tourna vers eux.
— Je vous avais prévenus, tristes sires ! dit-elle.
Bérarde, Alix, avec moi et sus à ces imbéciles !
— Je n’en suis pas ! cria du Paumier en grimpant
lestement sur la courtine. Je préfère affronter l’orage que ces trois furies.
Les trois s’étaient ruées sur les hommes pris de court. Ils
étaient quinze en comptant les deux sergents. Quatre furent vite à terre, assommés
dès le premier assaut. Les autres hésitèrent à se servir de leurs armes d’acier
contre des femelles armées de bois. Pourtant, il le fallait. Perdre la face
aujourd’hui ferait d’eux la risée du comté. Ils s’emparèrent des lances, des
épées, des targes et des écus, et formèrent un rempart. Ventrius qui n’avait
pas d’honneur se saisit d’une masse dont la tête hérissée de pointes pesait
plus de dix livres.
Alix avait été surprise par Aubeline. Elle ne le fut pas une
seconde fois. Elle avait dit vrai. Elle connaissait le maniement des armes. Très
bien même. Son corps fluet échappait à tous les fers ; elle était d’une
souplesse incroyable ; en se baissant elle frappa à deux reprises les
tibias de deux gaillards. Sous la douleur, les hommes se plièrent en deux, ils
reçurent en pleine figure l’épée de l’Autrichienne et furent mis hors de combat.
Jean du Paumier applaudit. Il continua en voyant avec quelle
facilité Aubeline se débarrassait de ses adversaires. Puis son cœur battit un
peu plus fort à la vue de Bérarde. Depuis son aventure amoureuse avec la Burgonde, il se sentait faiblir chaque fois qu’il la rencontrait. Bérarde avait coincé
Ventrius qui, de sa masse, fouettait l’air. Elle évita le hérisson de fer à
plusieurs reprises. L’arme troua son bouclier quand elle renouvela la feinte
utilisée contre le comte de Barcelone. Elle vit l’ouverture. Entre les jambes
de Ventrius. L’épée de bois frappa à la vitesse de l’éclair qui toucha à cet
instant le donjon. Le sergent poussa un hurlement de douleur quand ses
testicules remontèrent sous la violence du coup. Il tomba à genoux, les larmes
aux yeux. Le tonnerre leur fracassa les oreilles, saluant la victoire des trois
guerrières sur le corps de garde du château.
Quand l’onde du tonnerre disparut, on entendit le claquement
de mains de sire Paumier.
— Bravo ! fit-il. Si vous le permettez, je deviens
votre homme lige.
Pour toute réponse, il reçut des sourires et un baiser
envoyé par la Burgonde. Il en fut réjoui. La vie était belle à la cour d’amour.
15
Parée de pierres vertes taillées dans des cristaux de roche,
une robe grise de Pise pour tout vêtement, les cheveux noués en une spirale
maintenue par deux aiguilles d’or, Bertrane se rendit à la cour.
L’hiver, les dames se réunissaient dans la salle basse de la
tour aux Épis ; l’été, elles se retrouvaient sous les oliviers. Du temps
de sa grand-tante Ermeline, vers 1105, on avait mis au jour, non loin de la
butte fortifiée de La Lauzière, une banquette circulaire en pierres de
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