La Fille Du Templier
avait
obtenu satisfaction, arguant de la nécessité de procéder à des rituels.
« Pourquoi se rendre dans la grotte maudite ? avait
demandé Aubeline.
— Pour les faire parler le moment venu.
— Tu as l’intention de questionner des têtes coupées ?
— Je vais y enfermer leurs âmes et leurs esprits, c’est
pour cela que je dois me rendre dans la grotte des Dragons. »
Aubeline et la géante avaient réprimé leurs frissons. Cette
sorcière leur inspirait une peur viscérale. C’était elle qui avait retrouvé les
brigands champenois en projetant son esprit.
Aubeline avait sorti son épée. Bérarde jouait avec sa
francisque en étêtant les buissons autour d’elle. Les deux amies avaient tenu à
ne pas aller outre la chapelle des Saints-Anges perdue au sommet de la Sainte-Baume. La sorcière avait continué seule son chemin jusqu’à la grotte. Elles
attendaient depuis plus d’une heure quand un éclair zébra le ciel et toucha le
signal des Béguines.
— Par le Christ ! s’exclama Aubeline.
L’onde fracassante du tonnerre fit trembler la terre. Bérarde
abattit sa hache sur le sol comme pour couper cette onde.
— La jeteuse de sorts a ressuscité les têtes ! fit-elle.
— Je préfère ne rien savoir. Quand elle sera de retour,
garde un œil sur le sac qui contient les dépouilles. Si tu t’aperçois qu’il se
passe quelque chose d’anormal, réduis-le en miettes.
Bérarde grogna son assentiment. Elle était habituée aux
sales besognes.
Il y avait eu cet éclair anormal vers l’ouest, le tonnerre, puis
le silence. On ne s’en était pas préoccupé. Le bel âge de l’automne habillait
de feu les collines. Signes reposait dans la tiède et rousse concavité de sa
vallée. Les femmes aimaient l’automne. La saison inspirait toutes sortes de
romances langoureuses. Le besoin de jouissance devenait vague ; l’esprit s’élevait.
On se sentait pris d’une nostalgie qui conduisait au renoncement des sens.
Bertrane n’échappait pas à la règle. Deux heures après
laudes, elle grimpait au sommet du donjon avec Jausserande, Alix et Stéphanie. Un
rituel. Elles prenaient leur temps, rassasiant leurs âmes à la vue du paysage
paisible, des coulures cuivrées sur les flancs des montagnes, des rangées
fauves des vignobles, des embouches livrées au bétail et à la brume. Mais dès
que leurs regards remontaient vers Taillane et se perdaient au-delà de l’éperon
rocheux du Mourre d’Agnis, une souffrance vive leur serrait le cœur. Elles
songeaient à la pauvre Hermissende et à ses gens. La brusque pensée de leur
mort leur ôtait tout plaisir.
Une angoisse les torturait à l’idée que les assassins
couraient toujours.
La fille du templier, la Burgonde et la sorcière avaient certes rattrapé deux de ces soudards dans l’auberge du Grand-Sambuc près du village
de Jouques, derrière la Sainte-Victoire. Encore n’avait-on pas la certitude qu’ils appartenaient à la bande des assassins car elles les avaient tués au
combat. Inna assurait que si. La comtesse de Dye lui avait donné l’autorisation
de se livrer à des rituels démoniaques sur leurs têtes tranchées afin de
découvrir la vérité. Les têtes avaient été emportées dans le gouffre des Morts
et déposées sur un autel de pierre ligure. Toutes les nuits, les sorcières de
Signes la Noire se relayaient pour torturer les esprits emprisonnés dans ces
trophées mais ne parvenaient toujours pas à les plier à leur volonté.
Aussi avait-on peur. On guettait les signes. On multipliait
les battues avec les troupes des fiefs voisins. Bertrand avait fait quelques
prisonniers : des voleurs de poules, des rançonneurs de voyageurs, des
braconniers, un seul véritable brigand soupçonné de viol et de meurtre. Ce
dernier avait payé pour les autres. « L’énervation ! » avait
clamé Bertrand malgré les protestations des dames. Aucune d’entre elles, sauf
Delphine, n’avait assisté à ce spectacle donné sur la place du marché. Après la
bénédiction de frère Guillaume, l’homme aux jambes tendues par des cordes avait
eu les tendons des jarrets et des genoux brûlés, puis on l’avait relâché
rampant et gémissant au sein de la forêt. Les loups s’étaient chargés d’en
finir avec lui.
Jausserande quitta l’archère à travers laquelle elle
contemplait les bois lugubres flanquant le plateau de Siou-Blanc et se tourna
vers les dames qui travaillaient à leurs
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