La Fin de Fausta
fortune, moi ! Quatre millions pour un pauvre hère tel que moi, cela représente une somme mirifique, fantastique, chimérique ! Pourquoi diable voulez-vous que je sacrifie une somme pareille pour une enfant, que je suis sûr de retrouver quand je voudrai ?
– Je vous assure, chevalier, que vous ne la trouverez pas.
– Je vous assure, princesse, que je ne me donnerai pas la peine de la chercher.
– Alors ?…
– Alors, je vous l’ai dit. Je ne suis pas pressé. J’attendrai.
– Quoi ?
Il prit un temps, et avec un flegme sans pareil :
– Je vous l’ai dit aussi : j’attendrai que vous m’indiquiez vous-même l’endroit où vous la cachez et où je pourrai la prendre.
– Vous croyez que je ferai cela ? railla Fausta.
– J’en suis sûr, aussi vrai que ce soleil qui monte de plus en plus là-haut commence à nous chauffer un peu plus qu’il ne convient.
Il montrait une assurance telle que, malgré elle, Fausta en fut impressionnée. Elle laissa tomber la conversation et s’enfonça dans une profonde rêverie. Pendant qu’elle réfléchissait, Pardaillan, souriant, dans sa moustache grise, d’un sourire indéfinissable, se disait en l’observant du coin de l’œil :
« La voilà partie sur la piste où je l’ai lancée, sans en avoir l’air. Elle y viendra, ou le diable m’emporte ! »
Il ne se trompait pas : Fausta songeait à ce qu’il venait de lui affirmer avec tant d’assurance. Tout d’abord, cette pensée qu’elle pourrait lui rendre elle-même l’enfant lui avait paru tellement insensée qu’elle n’avait même pas voulu s’y arrêter. Cependant, malgré elle, elle y était revenue. Cette hypothèse qu’elle avait voulu écarter, elle y songea, quoi qu’elle en eût et quelque effort qu’elle fît pour la chasser de son esprit. Elle l’envisagea sous toutes ses faces, la tourna et la retourna tant et si bien qu’elle ne lui parut pas aussi folle. Lorsque les premières maisons de Saint-Denis furent en vue, elle en était arrivée à se dire :
« Pourquoi pas ?… Pourquoi ne lui dirais-je pas où est l’enfant ? Après tout, je ne lui ai jamais voulu de mal, moi, à cette enfant… au contraire. Et, quoi que j’en aie dit, il n’est jamais entré dans ma pensée de la ravir à tout jamais à sa famille. Et, puisque j’étais résolue à la rendre aux siens qui la pleurent, que m’importe que ce soit un peu plus tôt ou un peu plus tard ?… Oui, pourquoi pas ?… En somme, le problème se résume à ceci : attirer Pardaillan dans la maison où est l’enfant ; le laisser un instant avec elle pour qu’il s’assure qu’elle n’a pas souffert, qu’il n’y a pas eu substitution ; lui montrer de façon évidente, de manière à ce qu’il n’en puisse douter, qu’elle est remise en liberté, rendue aux siens… Tout cela est on ne peut plus facile. Voici où commence la difficulté : amener Pardaillan à rester un instant dans la maison, après le départ de l’enfant, et l’amener à faire cela de son plein gré… après quoi il ne pourrait plus sortir vivant de cette maison… Voilà la solution à trouver… C’est difficile… très difficile. Ce ne doit pas être impossible. »
Dès l’instant où elle avait admis la possibilité de paraître céder à la suggestion de Pardaillan, dès l’instant où, allant plus loin, elle s’était posé à elle-même le problème à résoudre, il était clair que, si difficile qu’elle fût, elle voudrait chercher la solution. En effet, stimulée peut-être par la difficulté, elle se dit :
« L’Evangile nous dit : “Cherche, et tu trouveras”. »
Et, résolument, elle conclut :
« Cherchons. »
Au bras de Pardaillan, elle continua d’avancer en silence, cherchant patiemment, méthodiquement, toutes les ressources de son esprit infatigable tendues vers le but à atteindre, si passionnée par cette recherche qu’elle en oubliait sa situation actuelle, et que, avant de songer à attirer Pardaillan dans un traquenard d’où il ne sortirait pas vivant, il eût peut-être été plus sage de songer d’abord à se tirer de ses mains.
Cette fois, Pardaillan la laissa réfléchir tout à son aise, ne chercha pas à la détourner de ses pensées. D’ailleurs, ils étaient presque arrives. Ils atteignirent les premières maisons de la petite ville où les rois de France dormaient leur dernier sommeil. Pardaillan s’arrêta, ce qui eut pour résultat de ramener
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