La Fin de Fausta
qu’elle était. Florence pour la « maison » était devenue une de ces « damoiselles » – et ajoutons : une damoiselle quelque peu jalousée à cause de la faveur toute spéciale dont elle paraissait jouir – tout comme La Gorelle allait devenir une de ces ouvrières.
Rospignac savait cela comme tout le monde. Il ne savait pas que cela, sans nul doute : de par ses fonctions et de par la faveur dont il jouissait auprès de son maître, il était à même d’apprendre bien des choses ignorées des autres.
Donc, Rospignac avait pénétré pas mal de petits secrets de ses maîtres. Quant à dire ce qu’il savait au juste, nous serions bien embarrassés de le faire : quand il avait flairé qu’il pouvait être mortel, ou simplement nuisible, de se montrer trop bien renseigné, Rospignac était l’homme qui savait le mieux du monde faire semblant d’ignorer ce qu’il savait très bien, au fond. On pouvait alors le tourner et le retourner, le prendre par tous les bouts et par tous les moyens, il demeurait impénétrable.
Il s’était ressaisi, s’était cuirassé d’indifférence, s’était fait impénétrable au moment où Léonora le rassurait en souriant :
– Vous pouvez parler sans crainte, Rospignac… M. le maréchal n’est nulle part aux écoutes… Et vous devez comprendre que ce n’est pas moi qui lui répéterai jamais ce que vous m’aurez dit.
Et comme, malgré cette assurance qu’elle lui donnait, il demeurait muet, elle ajouta :
– Au surplus, sachez que, même s’il vous entendait, M. le maréchal ne se fâcherait pas, ne vous en voudrait pas le moins du monde, pour l’excellente raison qu’il a complètement renoncé à cette jeune fille. Je vous dirai pour quelles raisons… si nous nous entendons, toutefois.
Ces derniers mots firent dresser l’oreille à Rospignac. Mais les promesses les plus éblouissantes n’avaient pas plus de prise sur lui que les menaces les plus effroyables. Pour lui délier la langue, il eût fallu que Léonora abattît franchement son jeu et qu’il vît clairement à quoi elle tendait, et s’il avait intérêt à la suivre. Mais Léonora avait ses raisons pour agir autrement. Et il répondit respectueusement :
– Excusez-moi, madame. Je ne comprends rien à ce que vous me faites l’honneur de me dire.
– Je vais me faire comprendre, dit Léonora avec une certaine gravité. Regardez-moi bien, Rospignac, et lisez dans mes yeux que c’est en amie et en toute sincérité que je vous parle. Je suppose que vous aimez cette fille des rues… que diriez-vous si je vous la donnais, moi ?…
Cette fois, Rospignac comprit qu’il pouvait parler. Et tombant sur les genoux, dans une explosion passionnée :
– Si vous faisiez cela, madame, vous seriez plus que Dieu lui-même pour moi !
– Je ne m’étais donc pas trompée ?… Vous l’aimez réellement ?…
– A en devenir fou, madame !
Léonora sourit doucement. Elle était satisfaite. Elle ne pouvait pas douter de sa sincérité en voyant ce visage bouleversé par la passion. Car il ne jouait pas la comédie, en ce moment. Elle prit un temps et :
– Que feriez-vous, voyons, pour la posséder ?
Elle posait la question d’un air enjoué, sans paraître y attacher autrement d’importance. Mais l’insistance avec laquelle elle le fouillait au fond des yeux disait assez et le sens particulier et la valeur qu’elle lui donnait. Rospignac ne s’y trompa pas. Il se releva, et la fixant à son tour, avec une résolution froide, terrible, en appuyant sur ses mots :
– Tout, madame, tout !… Pour l’avoir à moi, cette fille, j’irais jusqu’au crime le plus abominable ! jusqu’à l’action la plus vile, la plus infâme ! jusqu’à la lâcheté !…
Léonora sourit de nouveau. Elle avait compris. Et, du même air enjoué :
– Dieu merci, vous n’aurez pas besoin d’en venir à des extrémités indignes du bon gentilhomme que vous êtes. Je m’intéresse à vous, Rospignac, je veux votre bonheur. Et puisque vous aimez passionnément cette fille, puisque c’est celle-là, et aucune autre, qu’il vous faut pour vous rendre heureux, eh bien… épousez-la… Je me charge, moi, de la doter convenablement.
Maintenant c’était à la dérobée qu’elle l’observait. Mais cette attention dissimulée était plus aiguë encore que la précédente. Et en l’épiant ainsi, elle songeait :
« S’il accepte, c’est qu’il sait !… S’il
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