La Fin de Fausta
sait… il faudra que le poignard de Stocco nous débarrasse au plus vite de M. le baron ! »
Mise en défaut, sans doute, par des apparences auxquelles elle avait eu le tort de trop se fier, elle commettait la faute de ne pas évaluer à sa valeur réelle l’homme avec qui elle était aux prises. Elle ne se doutait pas qu’elle avait affaire à forte partie et que Rospignac était de taille à la battre avec ses propres armes. En effet, à la seconde même où elle faisait cette réflexion inquiétante pour lui, Rospignac se disait de son côté :
« Si j’accepte, je suis mort !… »
Et tout haut, sans la moindre hésitation :
– Moi ! épouser une bouquetière des rues !… Pardonnez-moi, madame, mais la plaisanterie me paraît si extravagante que je ne puis me tenir de rire.
Et Rospignac, en effet, éclata d’un rire fou, irrésistible. Léonora le considérait d’un air grave, attendant patiemment que cet accès d’hilarité fût tombé. Alors, elle prononça, avec la même gravité :
– Que voyez-vous de si extravagant là-dedans ? N’est-elle pas honnête ?
– Oh ! pour cela, irréprochable, madame !… J’en sais quelque chose.
– Jolie, jeune, honnête, riche… Ou presque puisque je me…
– De grâce, madame, ne parlons pas de cela, interrompit vivement Rospignac. Je suis pauvre, c’est vrai. Je rêve de m’enrichir… par n’importe quel moyen… vous voyez que je suis franc… cynique, si vous voulez. Je rêve de m’enrichir par tous les moyens… tous !… hormis celui-là. Je préférerais cent fois vivre et mourir plus gueux que le dernier des gueux, plutôt que de devenir millionnaire grâce à un mariage pareil ! Ceci, il le disait avec une force et une indignation telles que Léonora commença à ne plus douter de sa sincérité. Et peut-être l’était-il en effet. Cependant, elle voulut pousser l’épreuve jusqu’au bout.
– Vous vous disiez prêt à tout, même à commettre une infamie, pour posséder cette jeune fille, dit-elle, et vous refusez quand je vous offre de vous la donner en mariage. J’avoue que je ne vous comprends pas.
– C’est que ce mariage m’apparaît à moi comme la pire des infamies. La seule, précisément, que je ne commettrai à aucun prix.
– Je commence à croire que vous êtes un peu fou, mon pauvre Rospignac, dit-elle en haussant les épaules.
Et, avec une pointe d’impatience :
– Pour Dieu, expliquez-moi une bonne fois ce qui vous répugne dans ce mariage avec une jeune fille que vous prétendez aimer à la folie, et qui est irréprochable, vous en convenez vous-même.
Il la considéra un instant, comme pour s’assurer si elle parlait sérieusement. Il la vit attentive, attendant avec une curiosité manifeste sa réponse qu’elle ne semblait pas soupçonner. A son tour, il haussa les épaules et, assez irrespectueusement et d’une voix mordante, il railla :
– Avec tout le respect que je vous dois, permettez-moi de vous dire, madame, que voilà une question qui me suffoque !… Se peut-il vraiment que vous n’ayez pas compris la raison de ce refus qui paraît vous étonner ?
Et s’animant, avec une intraduisible expression de dédain :
– Sangdieu ! madame, faut-il donc vous dire qu’un gentilhomme n’épouse pas une fille de basse extraction, comme celle-là ?… Qu’il en fasse sa maîtresse, à la bonne heure !… Et je n’ai jamais, quant à moi, eu d’autre intention que celle-là !… Et j’estime que c’est encore lui faire beaucoup d’honneur !… Mais l’épouser !… Halte-là ! Je suis de bonne maison, madame, si vous l’oubliez, je ne l’oublie pas, moi.
– Quoi, c’est pour cela ! se récria Léonora, en ouvrant de grands yeux étonnés.
Et avec une pointe de dédain qui perçait malgré elle :
– Je ne m’attendais pas, je l’avoue, à trouver ce sot préjugé de la naissance chez un homme qui se vante de s’être, depuis longtemps, débarrassé de tout vain scrupule.
– Hélas ! oui, madame, avoua-t-il tout confus, c’est le seul scrupule dont je n’ai pu me défaire. J’en suis moi-même tout étonné et quelque peu honteux. Mais, que voulez-vous, je n’y puis rien. Et puis… soyez-moi indulgente, madame : c’est peut-être tout ce qui me reste des excellents principes que madame ma mère s’efforçait de m’inculquer au temps heureux de mon insouciante jeunesse.
« C’est qu’il est tout ce qu’il y a de plus
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