La Fin de Fausta
sincère ! » songeait Léonora en l’observant.
Elle s’émerveilla en elle-même :
« Ce spadassin à gages, ce ruffian sans vergogne, ce truand titré, qui ne recule devant aucune basse besogne, pourvu qu’elle soit convenablement payée, se croirait vraiment déshonoré en épousant une femme qui n’est pas “née”… ce qu’il appelle dédaigneusement : une fille de basse extraction !… C’est incroyable, inimaginable… et c’est ainsi, pourtant !… »
Nous devons dire que Léonora ne se trompait pas. Si extraordinaire que cela puisse paraître, étant donné la moralité du personnage, Rospignac n’avait nullement joué la comédie. Rospignac s’était montré sincère : même s’il n’avait pas été guidé par une arrière-pensée que nous avons fait connaître, il aurait obstinément refusé ce mariage qui lui paraissait « indigne » du gentilhomme qu’il croyait être.
Sincère, il avait tout naturellement trouvé des accents qui ne pouvaient pas ne pas convaincre la méfiante Léonora, et qui la convainquirent en effet. Ce qui fait qu’elle crut pouvoir conclure, non sans satisfaction :
« Quoi qu’il en soit, il ne sait rien, et c’est l’essentiel ! »
Ce qui, nous le savons, était une erreur de sa part.
Elle parut réfléchir un instant. Rospignac, de son côté, songeait, en l’observant à la dérobée :
« J’espère que la voilà convaincue de mon ignorance !… Mais pourquoi ne me congédie-t-elle pas, maintenant ? Que peut-elle me vouloir ?… »
Et une flamme au fond des prunelles, haletant d’espoir :
« Oh ! est-ce qu’elle voudrait ?… Qui sait ?… Oh ! si je pouvais avoir cette chance !… »
Enfin Léonora releva la tête. Son attitude se fit plus bienveillante, presque maternelle. Elle parla. Et cette fois, elle alla droit au but :
– Eh bien, vous vous trompez, Rospignac, la petite bouquetière n’est pas une fille du commun. Elle est de bonne maison, et vous pourrez l’épouser sans crainte de vous mésallier.
Si maître de lui qu’il fût, Rospignac ne put pas réprimer tout à fait le tressaillement de joie folle qui le secouait, tandis que, dans son esprit retentissait cette clameur de triomphe :
« Sangdieu ! c’était bien cela !… Elle y vient d’elle-même !… Je n’aurais jamais osé l’espérer !… Attention, Rospignac, c’est la fortune qui passe !… Il s’agit de ne pas la manquer. »
Se méprenant sur le sens de ce mouvement qui lui avait échappé, Léonora continuait, d’une voix à la fois impérieuse et persuasive :
– Il faut que vous l’épousiez, il le faut, entendez-vous ?
– J’entends, madame, dit Rospignac, avec une froideur voulue. Mais diantre, je n’avais pas envisagé le mariage, moi !… Je ne vous cache pas que le sacrifice me paraît dur… très dur…
– Voici qui vous le fera trouver moins dur : la future vous apportera en dot la terre de Lésigny qui sera érigée en comté pour elle. Il faut que vous sachiez, Rospignac, que le château et la terre de Lésigny nous ont coûté cent mille écus. C’est quelque chose, il me semble.
– En effet, madame. Et je sens déjà que le sacrifice sera moins pénible que je ne pensais. Cependant…
– Ajoutez à cela les cadeaux, que j’estime, au bas mot, à cent mille livres… ajoutez que votre traitement de capitaine des gardes du maréchal d’Ancre sera porté à douze mille livres… en attendant que vous preniez la place de Vitry comme capitaine des gardes du roi. Qu’en dites-vous ?
– Je dis, madame, que vous faites les choses avec une munificence telle que je suis comme assommé !
– Vous acceptez donc ? gronda Léonora.
– Si j’accepte ?… Je crois bien ! exulta Rospignac.
– Tripes du diable !… Et monseigneur que j’oubliais !… Excusez-moi, madame… Je tiens à la fortune, c’est vrai… Mais je tiens encore plus à ma peau… Or, si j’acceptais, je serais mort avant huit jours… Ainsi, vous comprenez…
Il paraissait réellement désespéré et fort embarrassé. En réalité, il l’observait en dessous, avec un pétillement de triomphe au fond de ses yeux.
« Décidément, il ne sait rien », songea Léonora.
Et tout haut, elle sourit :
– Rassurez-vous, Rospignac, vous n’avez rien à craindre de monseigneur.
Et comme Rospignac, jouant son rôle jusqu’au bout avec une perfection qui confinait au grand art, secouait la tête d’un air
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