La Fin de Fausta
faire preuve d’une bravoure qui pouvait passer pour de la témérité, Rospignac savait aussi se montrer prudent, quand il le fallait.
« Ne tentons pas le diable, se dit-il. Après ce que je viens de faire, j’ai le droit de ne pas me montrer trop chatouilleux. Au surplus, je suis sûr qu’ils diront la vérité. C’est tout ce qu’il me faut. »
Et à son tour, pour ne pas être en reste avec eux, il remercia d’un signe de tête assez cavalier et tourna les talons. Pendant qu’ils s’occupaient à enlever les trois corps inertes, il ramassa son pourpoint qu’il endossa et agrafa lentement, méthodiquement, sans s’occuper d’eux. Quand il fut habillé, il s’en alla, sans se presser, vers un des escaliers qui plongeaient dans la rivière. Tenant à la main son épée, rouge de sang jusqu’à la garde, il descendit posément les marches gluantes et lava cette épée dans l’eau courante qui se rougit à l’instant.
Il remonta, essuya soigneusement la lame, la remit au fourreau et partit enfin d’un pas nonchalant, en homme que rien ne presse. Il ne rentra pas tout de suite au Louvre : il voulait laisser à ceux qu’il venait de quitter le temps de colporter dans la royale demeure le récit de cette rencontre tragique, qui s’était terminée par la mort de trois jeunes hommes, frappés, coup sur coup, par la même main.
Il flâna un instant dans le quartier. Quand il jugea que la nouvelle devait être connue, il se dit :
« Retournons au Louvre !… Je suis bien sûr qu’on y regardera à deux fois maintenant, avant de ricaner sur mon passage… Et si la leçon ne suffit pas… nous recommencerons. »
Il ne s’était pas trompé : la terrible leçon avait porté ses fruits, et il n’eut pas besoin de recommencer. Seulement, si on ne souriait plus sur son passage, personne, à part les partisans avérés de Concini, ne frayait avec lui. Dès qu’il paraissait, on s’écartait de lui, comme on eût fait d’un pestiféré. Au reste, il faut croire que cette espèce de mise à l’index ne le touchait guère, car il n’avait encore rien fait pour la faire cesser au moment où nous le retrouvons s’inclinant devant Léonora, qui venait de le faire appeler, avec cette grâce élégante qui lui était personnelle.
Après avoir répondu à sa galante révérence par une légère inclination de tête, Léonora, comme si elle ne le connaissait pas, se mit à le détailler des pieds à la tête, de ce regard rapide et sûr que possèdent, en général, les femmes, quand il s’agit d’élégances. Car il ne faut pas oublier que c’était un cavalier d’une suprême élégance, et un fort joli garçon, que le baron de Rospignac. Et il le savait bien. Peut-être même, à force de l’avoir entendu dire à maintes jolies femmes, le savait-il trop bien.
Peut-être cet appel inusité de sa maîtresse, avec qui il avait rarement affaire, ne laissait-il pas que de l’inquiéter un peu, au fond de lui-même. Mais il n’en faisait rien paraître et soutenait l’examen minutieux sans sourciller. Même, emporté par une habitude galante sans doute, il faisait des grâces, bombait le torse, tendait le jarret qu’il avait fin et nerveux, caressait sa soyeuse moustache d’un geste fat.
Satisfaite de son examen, Léonora sourit. Sourire qui répondait sans doute à la pensée secrète qui avait dicté cet examen, mais que Rospignac put prendre, et prit en effet, pour lui. Après avoir souri, Léonora parla. Et d’un air détaché, de sa voix chantante et un peu zézayante d’Italienne, elle dit ceci :
– Rospignac, êtes-vous toujours amoureux de cette petite bouquetière des rues qu’on appelle Muguette, ou Brin de Muguet, je ne sais pas au juste ?
Cette question, qu’elle posait ainsi à brûle-pourpoint, c’était un véritable coup de boutoir qui faillit renverser Rospignac, lequel était loin de s’y attendre, et qui ne sut que bégayer :
– Madame… je ne sais pas ce que vous voulez dire.
Il nous faut dire ici que la présence de Florence à l’hôtel de Concini n’était ignorée d’aucun des serviteurs de la maison : Léonora n’avait pas jugé à propos d’en faire un mystère. Tout comme le maréchal d’Ancre avait « ses officiers et gentilshommes », la maréchale avait « ses filles et damoiselles » – qu’il ne faut pas confondre avec les femmes de chambre, ouvrières et filles de service – ainsi qu’il convenait à la très grande dame
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