La Fin de Fausta
être la fille de la maréchale d’Ancre…
Elle fit une pause, souriant toujours du même sourire indéfinissable, le fixant toujours avec une insistance étrange.
Cette fois, Rospignac tressaillit : il avait compris. Mais, toujours sur une prudente réserve, toujours impénétrable, de son air le plus naïf :
– Eh bien ? dit-il.
– Eh bien, dit Léonora d’un accent qui tomba rude et tranchant comme le coup de hache du bourreau, ceux-là, vous leur ferez rentrer leurs insinuations dans la gorge, en les traitant comme on m’a dit que vous avez traité ceux qui se sont permis de ricaner sur votre passage. Comprenez-vous, Rospignac ?
– A merveille, madame, dit Rospignac. Et, avec un sourire terrible :
– J’en fais mon affaire. N’en parlons plus, madame. Léonora n’ajouta pas un mot sur ce sujet. Elle savait qu’elle pouvait compter sur lui. Comme si tout était dit, elle congédia :
– Allez, Rospignac, et dites-vous bien que votre fortune est faite : une fortune éblouissante, telle que vous n’avez jamais osé en rêver une pareille… Ah ! j’oubliais !… Tenez-vous prêt. Ce mariage sera célébré prochainement… dans quelques jours.
– Me sera-t-il permis, d’ici là, de présenter mes hommages à ma future ? demanda Rospignac, dont les yeux étincelaient.
– Non, dit simplement Léonora. Et, avec un mince sourire :
– Je ne vous cache pas, Rospignac, que je m’attends à rencontrer quelque résistance de la part de votre future… Je crois que vous n’êtes pas aimé, mon pauvre Rospignac.
Et, dans un grondement de menace effrayant :
– Je le sais, grinça le baron avec une grimace de fureur jalouse, et je sais aussi qui on me préfère.
« Mais patience, nous réglerons nos comptes, de ce côté-là ! »
– J’estime qu’il vaut mieux que vous vous teniez à l’écart jusqu’au moment de la cérémonie, continua Léonora, comme si elle n’avait pas entendu. Et même, évitez, autant que possible, de la rencontrer. Evitez, surtout, de lui parler. Ce sera plus prudent.
Et, d’un accent rude, impérieux :
– Il faut que ce mariage se fasse. Ne risquons pas de le compromettre.
– J’obéirai, madame, fit docilement Rospignac.
– Allez donc, Rospignac, et fiez-vous à moi.
Rospignac s’inclina devant elle et sortit. Dehors, il laissa éclater la joie délirante qui le soulevait.
« L’affaire est dans le sac ! songeait-il en exultant. Quand je pense que je me creusais la cervelle pour trouver le moyen de leur imposer ce mariage… sans risquer ma tête… et qu’elle y est venue d’elle-même !… Cornes du diable ! tripes du diable ! ventre du diable !… Riche ! enfin je vais être riche !… Ce que j’appelle riche !… Car si M me Léonora se figure que je vais la tenir quitte avec ce qu’elle m’a promis, elle se trompe singulièrement !… La terre de Lésigny, le titre de comte, trois ou quatre cent mille livres, tout cela, qui est fort appréciable, est bon à prendre, en attendant mieux !… Et c’est mieux qu’il faudra qu’on me donne plus tard !… Que diable ! quand on a la chance d’être en possession d’un secret aussi formidable que celui que je détiens… quand on tient dans sa main l’honneur d’une reine… une reine dont on est le gendre… car c’est bel et bien cela : moi, Rospignac, simple gentilhomme, sans feu ni lieu, je vais devenir le gendre de la reine régente de France !… Quand on tient dans la main un levier pareil, on est le dernier des imbéciles si on se contente de quelques centaines de mille livres !… Et, Dieu merci, je ne suis pas un imbécile… Il est vrai qu’on risque de se heurter au poignard d’un bravo… ou à quelque drogue mortelle de quelque marchand d’herbes !… Mais bah ! qui ne risque rien n’a rien !… Et puis, je ne suis ni aveugle, ni sourd, ni manchot, et je ne me laisserai pas meurtrir par traîtrise sans me mettre un peu en travers. »
Insatiable comme tous les ambitieux, Rospignac ne se contentait déjà plus d’une fortune que, dans ses rêves de pauvre hère, il n’avait jamais osé espérer si belle : il ne la possédait pas encore, et déjà il songeait à l’augmenter, par des moyens inavouables, bien dignes du sacripant qu’il était. Et il se croyait bien sûr d’arriver à ses fins.
Cette belle assurance eût été quelque peu ébranlée s’il avait pu voir le long regard que Léonora avait fait peser sur
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