La Fin de Fausta
cette rapidité de décision qui faisait sa force. Le sourire bon enfant reparut sur ses lèvres. Et elle tenta :
– Vous êtes riches ? Tant mieux !… Mais qu’est-ce que cent pauvres mille livres auprès d’un million ?… Un million que je vous offre !…
Ils sursautèrent éblouis. Et, d’une même voix étranglée :
– Un million !… Outre !… Cornes de Dieu !…
Elle se pencha davantage sur eux, se fit plus enveloppante, les tint sous le feu de son regard chargé de puissants effluves magnétiques. Et, d’une voix captivante, ensorcelante, telle que devaient en avoir les sirènes de la fable lorsqu’elles s’efforçaient, par la douceur de leur chant, d’attirer le voyageur :
– Un million, oui !… Un million, entendez-vous ?… Ouvrez cette porte… et ce million est à vous. Je vous le donne, ce million !…
Pâles, les lèvres pincées, le regard trouble, les pauvres diables plièrent les épaules, assommés par la puissance de ce mot éblouissant, magique : « million », dont avec une insistance acharnée, elle se servait comme elle eût fait d’une pesante massue, pour leur marteler le crâne à coups redoublés.
Et ils se regardèrent.
Ils n’échangèrent qu’un regard. Un seul regard furtif. Et cela suffit : ils s’étaient compris, entendus.
Fausta, haletante sous son masque souriant, les vit soudain se dresser d’un même mouvement mécanique, comme deux automates mis en mouvement par le brusque déclenchement d’un puissant ressort. Et d’un bond pareil, ils furent sur la porte, tous les deux en même temps. Et dans l’esprit de Fausta, cette clameur éclata comme une fanfare de triomphe :
« Ils sont à moi !… Ils vont ouvrir !… Ils ouvrent !… »
Instantanément, elle fut debout, agitée d’un frémissement de joie délirante. Et déjà, dans sa pensée, retentissait ce grondement de menace :
« Ah ! Pardaillan, tu ne les tiens pas encore, mes millions !… A nous deux, maintenant !… »
Et d’un bond de félin, souple et léger, elle s’élança pour passer par la bienheureuse porte que Gringaille, à ce moment même, ouvrait toute grande.
Elle s’élança sur la porte qui était grande ouverte. Oui… mais…
… Sur le seuil, elle rencontra la pointe de la rapière d’Escargasse qui, pendant que Gringaille ouvrait, avait dégainé. Et sur cette pointe acérée qui déchira le velours du pourpoint, effleura le satin de la peau parfumée, son élan se brisa net. Il était temps : quelques lignes de plus et Fausta se fût enferrée elle-même. Le long et tragique duel entamé entre elle et Pardaillan eût été terminé d’un coup.
– Arrière, sandiou ! commanda Escargasse d’un accent de formidable rudesse.
Et comme elle demeurait stupide, anéantie, dans l’écroulement retentissant de son espoir déçu, il fit un pas en avant, poussant la pointe menaçante, et répéta :
– Arrière, coquine dé Diou, arrière ! Ou je vous saigne comme un poulet !…
Et Fausta, grinçant, écumant, grondant, recula devant la pointe d’acier flexible qui la menaçait, tantôt à la gorge, tantôt au sein, comme le fauve recule devant la fourche du belluaire. Elle recula jusqu’à ce qu’elle fût revenue à la place qu’elle avait quittée, de l’autre côté de la table.
Alors Escargasse abaissa la terrible pointe et l’appuya sur le bout de sa botte. Et il demeura immobile, pétrifié : figuration effrayante de la Méfiance aux aguets.
Alors, Fausta leva vers la voûte deux poings crispés, qui semblaient anathématiser, mâchonna une sourde imprécation et, pivotant brusquement sur les talons, retourna s’asseoir près de d’Albaran, s’enfermer dans un silence farouche.
Pendant ce temps, dans le couloir de la cave, Gringaille menait un vacarme infernal, hurlait à plein gosier :
– Holà ! maître Jacquemin !… Jacquemin !… aubergiste du diable !… Ohé ! Jacquemin ! que l’enfer t’engloutisse !…
Tant et si bien que l’aubergiste, croyant que le feu venait d’éclater dans sa cave, descendait précipitamment, s’informait avec inquiétude de ce qui se passait.
– Venez ici, maître Jacquemin, commanda Gringaille, qui rentra aussitôt dans le caveau et s’arrêta devant la porte, ce qui obligea l’hôtelier, qui l’avait docilement suivi, à demeurer en dehors dans le couloir.
– Maître Jacquemin, reprit alors Gringaille, sur un ton impérieux, vous allez prendre
Weitere Kostenlose Bücher